La croyance comme construction dynamique

La croyance comme construction dynamique

Loin d’être un simple acte d’adhésion à une vérité objective, croire relève d’un processus complexe qui engage l’affect, la cognition, la mémoire, les appartenances sociales et les enjeux existentiels.

La croyance est souvent définie comme une adhésion mentale à une proposition tenue pour vraie. Cette définition classique, héritée de la tradition philosophique, est cependant insuffisante pour rendre compte de la diversité des croyances humaines. On croit à des idées, des valeurs, des personnes, des récits, des symboles, des systèmes politiques, des pratiques quotidiennes. Certaines croyances sont conscientes, d’autres implicites ; certaines sont réfléchies, d’autres acquises sans examen critique. La croyance n’est pas un état passif, mais une orientation active vers le monde. Selon Paul Ricoeur, croire engage une forme de confiance ou de pari, au sens pascalien : « croire, c’est faire comme si le monde était tel qu’on l’espère ou tel qu’on le comprend ». Dès lors, la croyance relève autant de la représentation cognitive que de l’engagement existentiel.

Les croyances ne se forment pas dans le vide : elles sont socialement situées. Elles dépendent des groupes d’appartenance, des traditions culturelles, des récits collectifs et des normes sociales. Croire, c’est souvent appartenir. Pierre Bourdieu parlait d’« habitus » pour désigner l’ensemble des dispositions incorporées qui nous amènent à voir le monde d’une certaine façon. Ainsi, nos croyances sont façonnées par le contexte social et les schèmes de perception dominants. La psychologie sociale, avec la théorie de la dissonance cognitive, a montré que lorsqu’une croyance est remise en question, nous tendons à la rationaliser pour maintenir une cohérence identitaire. Ce phénomène est d’autant plus fort que la croyance est liée à une appartenance ou à un engagement fort. Ainsi, une croyance n’est pas seulement une opinion : elle est inscrite dans un tissu de relations et de significations partagées.

 

La croyance comme processus dynamique et évolutif

Contrairement à l’idée que les croyances seraient figées, les recherches contemporaines insistent sur leur plasticité. Elles se transforment sous l’effet de l’expérience, du dialogue, de la confrontation aux autres ou à l’épreuve de la réalité. Albert Moukheiber, psychologue et docteur en neurosciences, propose de voir la croyance comme une construction en mouvement, traversée par des tensions entre sécurité cognitive et ouverture au changement. Il affirme que l’esprit humain fonctionne moins selon une logique de vérité que selon une logique de plausibilité fonctionnelle : nous croyons ce qui nous aide à agir, à nous orienter, à donner du sens.

Comprendre la croyance comme construction dynamique implique de reconnaître notre vulnérabilité cognitive. Nous sommes tous exposés à des erreurs d’interprétation, à des illusions partagées, à des manipulations informationnelles. Mais cette vulnérabilité n’est pas une fatalité : elle peut devenir un levier d’apprentissage, à condition de cultiver la métacognition, c’est-à-dire la conscience de nos propres mécanismes mentaux. Développer une pensée critique ne consiste pas à rejeter toute croyance, mais à apprendre à évaluer, contextualiser, et réviser ses croyances. Comme le rappelle Moukheiber, il ne s’agit pas de ne plus croire, mais de croire avec lucidité.

 

Conclusion

La croyance n’est pas une donnée figée mais une construction dynamique située à la croisée du biologique, du psychique, du social et de l’éthique. Elle témoigne à la fois de notre besoin de cohérence, de notre attachement à des communautés de sens, et de notre capacité à évoluer. Reconnaître cette complexité permet de sortir des oppositions simplistes entre raison et foi, entre vérité et illusion, pour penser la croyance comme un processus vivant au cœur de notre rapport au réel.

 

 

Bibliographie

  • Moukheiber. Votre cerveau vous joue des tours.
  • Bourdieu. Esquisse d’une théorie de la pratique.
  • Ricoeur. La critique et la conviction.