La résonance ou comment repenser notre relation au monde

La résonance ou comment repenser notre relation au monde

Qu’est-ce que la vie bonne ? Le penseur allemand Hartmut Rosa croise avec brio sociologie et philosophie pour nous engager à cultiver les expériences de « résonance ». La “résonance”, ce “lien vibrant entre moi et le monde”, qui se produit lorsque nous nous sentons dans le bon rythme, en phase avec ceux qui nous entourent, et qui sont le revers salutaire de l’aliénation produite par l’accélération des sociétés modernes.

Le sociologue Hartmut Rosa s’est imposé comme l’un des penseurs critiques majeurs du XXIe siècle, en particulier à travers ses travaux sur l’accélération sociale et la résonance. Dans une époque marquée par la rapidité, l’aliénation et la perte de sens, Rosa propose une théorie ambitieuse qui articule critique sociale, anthropologie et philosophique. Le concept de résonance, au cœur de son œuvre récente, se présente comme une réponse à la crise existentielle de la modernité tardive, en redéfinissant notre rapport au monde.

De l’accélération à l’aliénation : diagnostic de la modernité

Dans Accélération. Une critique sociale du temps, Rosa diagnostique un phénomène central de la modernité : l’accélération sociale, structurée en trois dimensions — technique, sociale et du rythme de vie. Cette dynamique d’accélération produit un paradoxe temporel : plus le temps est « gagné », plus il semble manquer. Cette course permanente conduit à une relation instrumentale au monde, marquée par la domination, l’optimisation et le contrôle. Rosa, reprenant la tradition de la théorie critique (Adorno), y voit une aliénation moderne : nous sommes de plus en plus en contact avec le monde, mais de moins en moins affectés par lui. Le monde devient « muet », inerte, non-réactif — une perte de relation vivante.

La résonance : définition et structure du concept

Dans Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Rosa propose un changement de paradigme : l’être humain est fondamentalement un être de relation, et non un sujet isolé. La qualité de notre existence dépend de notre capacité à entrer en résonance avec le monde. La résonance est une forme de relation vibrante, réciproque, non maîtrisable, entre un sujet et un élément du monde (nature, art, autrui, idées…). Elle se caractérise par quatre dimensions :

Il y a résonance si et seulement si quatre critères sont satisfaits

Premièrement, l’affection. Je dois être affecté par quelque chose d’extérieur. Un paysage, une musique, une personne, un événement.

Deuxièmement, la résonance s’accompagne d’autoefficacité : le sujet affecté se sent en mesure de répondre, il va réagir. Je deviens actif dans notre relation.

Troisièmement, et cela découle de ce qui précède, il y a transformation : la résonance apporte du neuf. Un professeur qui fait cours, s’il entre en résonance avec sa classe, oublie le manuel et se lance dans des digressions, son discours est transformé.

Quatrièmement, la résonance est indisponible, elle n’est pas planifiable. J’achète des billets pour un concert avec un excellent orchestre, mais la musique me laissera peut-être indifférent, la résonance ne s’obtient pas sur commande. (vous trouverez ici un article qui creuse cette question.)

Pour échapper à l’aliénation, liée à l’accélération et à la course au profit, il est bon d’explorer les voies de la résonance

 

Il y a d’abord les axes de résonance horizontaux.

Ils nous relient aux autres êtres humains. Le nouveau-né est en résonance horizontale avec sa mère. La famille est un lieu de résonance, du moins quand les relations ne sont pas détériorées. Quelle est la différence entre une simple connaissance et un véritable ami ? Vous avez des moments de résonance avec le second.

La résonance horizontale a également une dimension politique.

La démocratie est en effet un régime qui promet à chacun de faire entendre sa voix, à travers le vote ou la liberté d’expression. Disons que la résonance horizontale est une promesse de la démocratie. En pratique, les débats parlementaires ont un grand défaut : lorsque vous êtes député d’un parti, votre rôle est de ne jamais reconnaître la validité des arguments de l’adversaire. Si vous êtes dans l’opposition, vous partez du principe que le gouvernement a tort. Vous privez ainsi la délibération de sa substance, vous bloquez toute résonance transformatrice. Cependant, la crise actuelle des démocraties va au-delà de cette faiblesse. De façon symptomatique, on entend partout les partis populistes s’exclamer à propos des gouvernants : « Ils ne nous entendent pas ! » C’est aussi le sentiment des peuples vis-à-vis de leurs élites. Ce qui veut dire : ça ne résonne plus pour nous

Deuxième axe : la résonance verticale. 

C’est l’expérience d’une rencontre avec une grandeur et une beauté qui vous dépassent, avec le monde lui-même. Ce ciel étoilé, ce soleil couchant, cette symphonie sont tellement saisissants… ils vous transportent au-delà de vous-même.

cette résonance verticale  implique une sorte de transcendance

Les grandes religions monothéistes proposent à leurs fidèles des expériences de résonance verticale : c’est le rôle de la messe, de l’eucharistie, des architectures grandioses des cathédrales, de la musique sacrée, de la prière. L’attrait de la religion est largement fondé sur une promesse de résonance adressée aux fidèles. Nous pouvons retrouver aussi cela dans le courant romantique par exemple, la nature nous communique des sentiments. Le paysage épanche son caractère mélancolique ou sublime en nous. De même pour l’art : l’œuvre romantique doit vous toucher, s’adresser à votre sensibilité, pas seulement à votre intellect. L’ouverture aux cultes animistes (par exemple avec le chamanisme) participe au même désir de transcendance et de résonance avec le vivant qui nous entoure.

Viennent enfin les axes de résonance diagonaux.

Ils impliquent la présence d’un matériau, sur lequel je peux agir. Ces axes diffèrent d’une personne à l’autre : pour l’explorateur polaire, la glace est quelque chose qui vit, qui respire et qui parle, et pour un amateur de musique, c’est un rythme de guitare qui lui donnera ce sentiment.

 

Conclusion : 

Les facteurs de résonance sont nombreux, mais ce qui est sur, c’est que la concurrence et l’accélération, parce qu’elles sont anxiogènes, sont des facteurs destructeurs de résonance. La pensée de Hartmut Rosa propose une alternative existentielle à l’ère de l’accélération et de la saturation. Le concept de résonance ne désigne pas un état psychologique individuel, mais un rapport au monde vivant, fondé sur la réciprocité, l’écoute et la transformation. Il constitue une réponse humaniste aux impasses du néolibéralisme et ouvre la voie à une reconception du bien-vivre.

 

 

Source : 

H. Rosa. Résonance

 

Pour compléter, voici un article pour questionner notre relation à notre environnement au niveau psychologique 

Les âmes et des choses : une relation complexe à repenser