Certaines personnes avancent dans la vie avec une remarquable maîtrise. Elles réfléchissent avant d’agir, font les choses avec sérieux, tiennent leurs engagements et se montrent solides dans l’adversité. Cette rigueur inspire confiance. Elle donne une impression de stabilité et de fiabilité, précieuse dans un monde souvent incertain.
Mais, parfois, ce même pilier de force devient aussi une source de tension intérieure. À force de vouloir bien faire, de garder le contrôle, de se contenir pour éviter l’erreur ou l’excès, on finit par s’éloigner de soi-même. Les émotions se taisent, la spontanéité s’émousse, et la vie se déroule sous contrôle permanent, comme si un voile discret séparait la personne de son propre vécu. Ce n’est pas un manque d’émotion, mais une sorte de distance intérieure, un besoin de respirer sans oser lâcher la vigilance.
Le contrôle comme armure
Le contrôle est, à son origine, une stratégie profondément humaine. Il naît souvent d’un contexte où la sécurité émotionnelle a manqué : un environnement instable, des critiques répétées, des situations où perdre la maîtrise aurait pu coûter cher. Alors, on apprend à “tenir”. Tenir pour ne pas déranger. Tenir pour ne pas faillir. Tenir pour que tout reste en place. Ce mode de vie s’installe peu à peu comme une protection invisible. Il apporte l’ordre, la prévisibilité, la reconnaissance parfois. Mais il enferme aussi. L’imprévu devient menaçant, l’émotion suspecte, la vulnérabilité dangereuse. Sous la surface de la maîtrise se cache souvent une grande peur : celle de s’effondrer si l’on cesse un instant de tout gérer.
Le prix du surcontrôle
Le surcontrôle ne se manifeste pas toujours par la rigidité extérieure. Il peut être très discret, voire socialement valorisé. Il se traduit par une retenue émotionnelle, une grande exigence envers soi, une difficulté à exprimer ses besoins ou à demander de l’aide. Tout semble “sous contrôle”, mais cette stabilité a un coût : fatigue chronique, solitude émotionnelle, perte de vitalité. Les relations deviennent parfois plus formelles, la joie se fait rare, la tendresse difficile à recevoir. On garde le cap, mais au prix d’une certaine étroitesse intérieure. Ce qui protège finit par priver du souffle.
Les racines du besoin de maîtrise
Le besoin de contrôle prend souvent racine dans des expériences précoces où l’imprévisibilité ou la critique ont laissé une trace durable. Pour éviter le chaos, la personne apprend à se suradapter. Elle développe des repères solides, un sens du devoir, une attention extrême à ce qu’on attend d’elle. Ce fonctionnement peut devenir si intégré qu’il semble naturel : “je suis comme ça”. Pourtant, derrière cette apparente identité se cache un effort constant pour prévenir la déception, la perte, le jugement. Ainsi, le contrôle n’est pas un défaut de caractère, mais une mémoire du corps et de l’esprit, un apprentissage de survie devenu automatique.
Le paradoxe du surcontrôle
Le paradoxe, c’est que le contrôle, conçu pour éviter la souffrance, finit souvent par la maintenir. En cherchant à tout maîtriser, on évite le risque de la blessure… mais aussi la possibilité de la rencontre. En cherchant à ne pas se laisser submerger, on se coupe aussi des élans vitaux, la curiosité, le désir, la joie spontanée. Le monde devient plus sûr, mais aussi plus étroit. Ce paradoxe s’observe dans la vie quotidienne : difficulté à improviser, peur de se tromper, sentiment de distance dans les relations. On se sent parfois “présent sans être là”, comme si une partie de soi restait en retrait, observant plutôt que vivant.
Quand la solidité devient solitude
Sous la surface maîtrisée, il y a souvent un grand besoin d’authenticité. Un besoin d’être compris sans devoir “bien paraître”. Un besoin de se sentir vivant sans devoir tout contrôler. Mais ces besoins, longtemps mis de côté, deviennent parfois difficiles à reconnaître. La personne surcontrôlée ne sait plus toujours ce qu’elle ressent vraiment, ni comment le partager. Le contrôle, au fil du temps, isole. Il crée un espace entre soi et le monde, entre soi et soi.
Vers un équilibre plus vivant
Comprendre le surcontrôle, ce n’est pas le juger. C’est reconnaître le courage et la logique qu’il contient : la volonté d’éviter la douleur, de rester digne, de protéger l’essentiel. Mais c’est aussi admettre ses limites. La vraie maîtrise n’est peut-être pas celle qui retient, mais celle qui choisit. Choisir quand se contenir et quand s’ouvrir. Choisir de faire confiance, un peu, à ce qui échappe. Redonner une place à la spontanéité, à la tendresse, à l’incertitude même, n’est pas une perte de contrôle : c’est une forme plus souple de présence à soi et à la vie. Une manière de redevenir pleinement humain, à la fois solide et sensible.
La Thérapie Comportementale Dialectique – Ouverture Radicale
L’approche repose sur une idée centrale : il existe deux grandes manières de souffrir. Certaines personnes souffrent de trop d’émotion, d’autres de trop de contrôle. Les premières ont besoin d’apprendre à se calmer ; les secondes, à s’ouvrir. La TCD-RO s’adresse à ces dernières, celles qui ont construit leur survie autour de la maîtrise, mais qui en payent aujourd’hui le prix par une forme de solitude, d’inhibition ou d’épuisement. L’objectif n’est donc pas de “lâcher prise” sans discernement, mais de retrouver de la flexibilité émotionnelle, de la vitalité et une présence plus vivante dans les relations. C’est un chemin vers une liberté intérieure, pas un abandon du contrôle.
Les personnes qui s’engagent dans cette approche décrivent souvent une transformation progressive. La fatigue se fait moindre, les émotions retrouvent leur couleur, les relations deviennent plus profondes. Ce qui était figé reprend vie. L’espace intérieur s’élargit, laissant la place à la chaleur, à la créativité, à la joie simple d’exister. La TCD-RO s’adresse à celles et ceux qui se sont longtemps efforcés de “tenir bon”, souvent au prix d’une grande solitude émotionnelle. Elle leur propose un autre chemin : celui de la souplesse, de la présence et de la confiance. Ce n’est pas une thérapie du “laisser-aller”, mais une thérapie du laisser-être. Elle enseigne que le contrôle n’est pas une erreur, mais qu’il a besoin d’espace pour respirer. Elle invite à faire la paix avec soi-même, à accueillir les imperfections comme la preuve d’une humanité vivante.
Exercices pratiques :
L’auto-expérimentation cognitive
Objectif : Observer tes propres biais “en action”.
Exercice de terrain :
- Pendant une journée, remarque à chaque fois que tu penses :
- “Je savais bien que…” → biais de confirmation.
- “C’est évident…” → biais de familiarité.
- “Ça ne peut pas être vrai…” → biais de rejet de l’inconfort.
- Ne cherche pas à les corriger : observe juste la fréquence et le contexte.
- En fin de journée, écris une phrase :
“Aujourd’hui, j’ai vu mon mental vouloir avoir raison à tel moment, et j’ai respiré à la place.”
L’auto-enquête des certitudes
Objectif : Identifier les zones où tu crois “savoir” et où tu n’écoutes plus.
Exercice :
- Note 3 affirmations que tu considères comme évidentes (ex. : “les gens riches sont égoïstes”, “la politique, c’est tous des menteurs”, “je suis nul en maths”).
- Pour chacune :
- Écris : “Et si le contraire était vrai, que verrais-je ?”
- Cherche une seule observation ou un contre-exemple réel qui invalide ou nuance ton affirmation.
- Observe la résistance intérieure : où ressens-tu du rejet, de la gêne, de la colère ?
Variante rapide : fais-le à chaque fois que tu dis “toujours” ou “jamais”.
Variante rapide (face au jugement rapide que je peux créer) : “Et si cette personne n’avait pas tort à 100 % ? Qu’est-ce que je pourrais apprendre d’elle ?”
La cartographie des angles morts
Objectif : Prendre conscience des contextes qui limitent ta perception.
Exercice :
- Liste les sources principales de ton information (réseaux, médias, amis, auteurs…).
- Trace un cercle autour de toi et place-les dedans, selon leur proximité.
- Puis demande-toi :
- Qui ou quoi n’est jamais représenté dans ce cercle ?
- Quels types d’expériences humaines n’y apparaissent pas ?
- Quelles émotions ces “absents” provoquent en moi ?
- Identifie une seule source alternative à explorer cette semaine.
Le journal de déstabilisation
Objectif : Apprendre à accueillir la dissonance cognitive.
Exercice quotidien :
- Chaque soir, note une idée, image ou situation qui t’a dérangé, fait douter, ou surpris.
- Écris en 3 colonnes :
- Ce que j’ai ressenti (émotion brute).
- Ce que cela remet en question chez moi.
- Ce que j’aimerais comprendre plutôt que juger.
- Observe au fil des jours si ta tolérance à l’inconfort grandit.
À lire en complément :
Sensibilité et fragilité : entre ouverture au monde et désorganisation émotionnelle
