Les nouvelles conceptions de l’Homme neuronal (vision biologique) et structuraliste sont centrées sur ses déterminismes. Comme le souligne très bien J.G. Xerri, ces deux visions de l’Homme ont largement contribué à produire la société dans laquelle nous vivons. Nombreux sont les auteurs qui l’ont qualifiée d’hédoniste, de libérale, de consommatrice, sans recherche de sens existentiel.
Cela a créé une société qui a perdu son souffle présent dans certaines caractéristiques de notre société telles que la surconsommation, l’excitation constante et le mal-être.
Nous pouvons voir que la surconsommation a peu à peu, réussi à s’infiltrer jusque dans nos rapports à la famille, aux relations, à la spiritualité, à la politique, à la culture et aux temps disponibles. Tout se passe comme si, dorénavant, la consommation imposait sur nous son empire aux contours illimités. Elle présente au moins trois caractéristiques : hédoniste, narcissique et hygiéniste. La recherche de jouissance est individualiste et narcissique, c’est-à-dire tournée vers elle-même. (Voir le slogan de L’Oréal qui le représente bien.) Le marketing ne nous focalise pas sur l’autre, mais sur nous-mêmes. Elle ne promeut rien de « mauvais », elle ramène à soi. Devant cela, la personne vit un sentiment de rupture et de fragmentation. Nous ne sommes jamais suffisamment bons, car il nous manquera toujours quelque chose que nous désirons.
Cette recherche de plaisir narcissique se développe sous le contrôle étroit d’un ordre non plus moral, mais sanitaire et anxiogène. Les revues, rubriques, émissions consacrées à la santé pullulent. L’expertise médicale et psychologique est sollicitée pour nombre croissant de questions autour de la vie quotidienne : sommeil, sexualité, stress, alimentation… Ce processus de médicalisation s’accompagne d’une liste considérable d’éléments générateurs de peurs : les OGM, la nanotechnologie, les ondes du téléphone, l’air, l’eau, le sexe, le voisin, tout est source d’anxiétés. D’un côté des sollicitations hédonistes frénétiques, de l’autre des flots d’informations sur les menaces. D’un côté une recherche permanente de plaisirs, de l’autre un matraquage de risques toujours plus inquiétants. Ça à un nom : des injonctions paradoxales !
Quand le bonheur est promis à tous et les plaisirs exaltés à tous les coins de rue, le vécu quotidien est mis à dure épreuve. D’autant plus que la « qualité de vie » dans tous les domaines : couple, sexe, alimentation, habitat, environnement, loisirs, etc, est devenue le nouvel horizon d’attente. À l’heure du « zéro défaut » généralisé, comment échapper à l’escalade de la déception ? Plus les exigences du mieux-être et du mieux-vivre s’élèvent, et plus s’ouvrent les boulevards de la déconvenue. Après les « cultures de la honte » et les « cultures de la culpabilité », voici les cultures de l’anxiété, de la frustration et de la déception. La société actuelle se caractérise par la multiplication et la haute fréquence de l’expérience déceptive, tant sur le plan public que sur le plan privé. Le paradoxe étant que face à cette déception, la consommation est utilisée comme anxiolytique…
Plus largement, ces troubles sont en rapport avec les figures anthropologiques dominantes actuelles. Celles-ci sont aussi la conséquence des maladies de notre intériorité. Ces conceptions de l’Homme, centrées sur ces déterminismes, l’ont profondément blessé, et ce à deux niveaux : en ignorant son être profond (question du sens, réflexion existentielle), et en ne lui donnant plus la possibilité d’écrire une histoire, son histoire.
Autrement dit, nous hyperconsommons parce que nous avons perdu le sens, parce que notre intériorité ne va pas bien. Beaucoup des symptômes de souffrance psychique actuels sont la manifestation de maladies de notre intériorité, et plus précisément de l’ignorance ou de la négligence de notre être profond.
La vision structuraliste ou neurologique de l’Homme fait comme si la dignité humaine et son essence propre lui venaient de sa fréquentation avec cet Autre. Ce qui caractérise l’humain, ce sera de moins en moins sa volonté ou sa liberté, et de plus en plus ses conditionnements. Par ses déterminismes, son histoire, son inconscient, ses réalités sociales… Le paradigme structuraliste a fait de l’Homme un non-sujet. L’humain neuronal le soumet aux contraintes de l’hérédité, de la nature et du cerveau. Nous sommes plongés dans une vision de déconstruction de l’humain et de son intériorité. Et notre hybridation avec les dispositifs numériques (smartphone, facebook, tweeter, snapchat, instagram, GPS, etc) accélère ce processus. Ils conduisent à une externalisation de notre intériorité. Beaucoup de patients me disent leur difficulté à assumer leur propre solitude, à passer du temps avec soi-même. Il ne s’agit pas là d’isolement, mais de cette solitude ontologique qui consiste à apprendre à être seul avec soi-même, afin de pouvoir mener « ce dialogue intérieur incessant entre soi et soi-même comme un autre », pour reprendre les mots de Paul Ricoeur.
Husserl affirmait déjà en 1930 : dans la détresse de notre vie, cette science n’a rien à nous dire. Les questions qu’elle exclut par principe sont précisément les questions qui sont brûlantes à notre époque malheureuse pour une humanité abandonnée aux bouleversants du destin : ce sont les questions qui portent sur le sens ou sur l’absence de sens de toute cette existence humaine.
C’est pourtant à l’attention profonde et à la contemplation intérieure que nous devons les plus belles productions, culturelles philosophiques et spirituelles de l’humanité.
L’Homme est blessé dans on être profond, et c’est cela la cause racine de la souffrance psychique aujourd’hui. Il est amputé de sa beauté, du lieu de sa dignité, de ce qui est irréductible aux déterminismes de toute sorte. Nous avons donc à nous regarder autrement, à percevoir l’image profonde que nous portons en nous. En nous engageant sur cette voie, nous pourrons prendre soin de notre être et de ceux qui nous entourent. Nous pourrons cultiver notre écologie intérieure.
mise en pratique :
Donnez-vous quelques minutes pour cet exercice. Assurez-vous de ne pas être dérangé, préparez-vous à vous occuper de vous et à prendre le chemin de votre intériorité.
Quand vous vous sentez prêt, laissez ce terme d' »être profond » faire son chemin en vous. Qu’est-ce que ce terme évoque : une réalité plutôt théorique ou plutôt vécue ? Cet être profond, c’est quelque chose avec lequel vous vous sentez bien ou au contraire qui vous gêne ? Pour quelles raisons ?
Imaginez qu’une personne qui vous est chère vous demande de lui parler de votre être profond, comment procéderiez-vous ? Choisissez le mode qui vous paraît le plus simple : l’expliquer à l’oral, l’écrire sur un papier, en faire un schéma, le dessiner, le dire avec une image, une musique un parfum, un mouvement…
Quelles sont les personnes qui vous ont invité à prendre conscience de votre profond, qui vous y ont sensibilisé ? Prenez le temps de les remercier.