Jean-Philippe Pierron, agrégé et docteur en philosophie, ses recherches, inscrites dans la ligne de l’herméneutique et de la philosophie de l’existence, portent sur le rôle des médiations pratiques en morale, sur l’importance plus particulière qu’y jouent les médiations imagées et sur le rôle éthique de l’imagination. Il développe cette réflexion sur l’imagination morale dans trois champs: l’éthique médicale, l’éthique de l’environnement et l’éthique de la famille.
S’engager dans un rapport au monde sensitif, sensible, se laisser toucher sur un mode sensible n’est pas sensiblerie. Il est important de bien distinguer les deux registres. Analysons la différence entre les deux par le regard de Jean-Philippe Pierron.
D’une part, celui de la perception, souvent anesthésiée et que l’art réveille, nous menant à un désir d’être intense ; de l’autre, la sensiblerie, nourrie par un foisonnement d’images sans retentissement profond, mais seulement superficiel, émotif, réactionnel. La sensiblerie engage une submersion par les affects au gré des situations. Elle reste à la surface, comme cette écologie superficielle où les expériences de nature sont identifiées, reconnues, adéquates avec ce qui était attendu et dont on peut faire une signalétique ou un instrument de communication. La sensiblerie comble une attente préformée, qui nous effleure sans nous toucher, cédant à une forme de lassitude compassionnelle. Telles sont les images d’une marée noire à la télévision ; le passage en boucle sur les réseaux sociaux d’un désastre d’inondation qui nous émeut le temps du visnage.
Le sensible, lui, se tient dans l’ouvert. Il prépare en cela une écologie profonde, entendue comme travail sur nos conditions de disponibilité (de résonance) à ce qui nous relie comme vivants humains aux autres vivants de la Terre. Il maintient en nous une forme d’irrésolution, dans un anarchisme de l’âme. Il se dispose en étant à vif, dans une »quête » qui rencontre d’autres quêtes, celles des artistes, des spirituels, des grands vivants, lesquelles ne sont pas immédiatement assimilables dans des visions du monde toute faite ou des croyances sûres elles-mêmes. Le sensible n’est pas un problème à résoudre, mais un mystère à faire exister.
Comment rejoindre le sensible ? Comment y être à nouveau attentif ? Cela nécessite de laisser poindre notre aspiration à être, de la voir suscitée et enrichie par ces événements sensibles que l’art ou la nature activent et nous invitent à percevoir. S’ensuivront des déplacements intérieurs qui seront des bouleversements. Ils nous mettront en face de notre désir le plus profond : quel humain est-ce que je cherche à être au cœur de toutes ces relations ? Il y est question d’une forme de déroute eu égard à nos routines et à nos usages du monde. Il y est question de résonance.
Source :
Méditer comme une montagne, de J.P. Pierron
à lire en complément :