Le concept de FOBO (« Fear Of Better Options »), ou peur de passer à côté d’une meilleure option, désigne l’anxiété croissante liée à la multiplication des choix dans les sociétés modernes. Ce phénomène psychologique, bien que moins connu que son cousin FOMO (« Fear Of Missing Out »), a des répercussions profondes sur la prise de décision, la satisfaction personnelle et les relations humaines.
Le terme FOBO a été popularisé par l’entrepreneur Patrick McGinnis (également à l’origine du terme FOMO), qui le définit comme « la paralysie du choix résultant de la recherche constante d’une meilleure option ». Contrairement au FOMO, qui pousse à multiplier les expériences par peur de rater quelque chose, le FOBO provoque une inhibition : la peur de faire un mauvais choix pousse l’individu à ne rien choisir du tout ou à reporter indéfiniment ses décisions.
FOMO et FOBO s’opposent dans leur dynamique : le premier est tourné vers le présent, obsédé par ce qui se déroule maintenant, sans lui ; le second est orienté vers l’avenir, hanté par ce qui pourrait advenir mieux, plus tard. Mais ces deux attitudes partagent un fond commun : l’angoisse face à la perte, le renoncement, la limitation. Dans un monde saturé d’informations et d’options, choisir devient renoncer, et cela devient insupportable. L’individu contemporain est sommé d’optimiser en permanence sa vie, ses relations, son image et ses expériences. Il s’ensuit une profonde insécurité, où chaque option prise ou laissée devient potentiellement source de regret.
La fatigue d’être soi selon Alain Ehrenberg
Dans La Fatigue d’être soi, Alain Ehrenberg analyse le glissement de la norme sociale de l’obéissance à celle de l’autonomie. Là où les sociétés disciplinaires exigeaient la conformité, nos sociétés contemporaines exigent l’initiative individuelle permanente. L’individu est sommé d’être acteur de sa vie, de se construire, de se « réaliser ». Mais cette autonomie imposée produit un effet paradoxal : l’épuisement. Ehrenberg voit dans la montée des troubles dépressifs une manifestation de cette contradiction : le sujet, incapable de répondre aux exigences de performance, d’originalité et de réussite, s’effondre sous le poids de la liberté. La pathologie n’est plus la névrose de la culpabilité, mais la dépression de l’insuffisance.
Une pathologie de l’abondance
Dans une société du trop-plein, de produits, d’informations, de relations, de trajectoires de vie, le choix devient un exercice chargé d’angoisse. Barry Schwartz, dans The Paradox of Choice, a montré que la multiplication des options ne mène pas à plus de liberté, mais à une fatigue décisionnelle, un sentiment de responsabilité écrasante, et une insatisfaction chronique. Le FOBO apparaît ainsi comme une pathologie typique d’un monde où l’hyperchoix est perçu comme la norme.
Le FOBO est souvent lié à des traits de personnalité tels que le perfectionnisme ou le besoin de contrôle. L’idée de « ne pas choisir le mieux » renvoie à une peur de l’échec et à une incapacité à tolérer l’incertitude. Ce phénomène s’exacerbe avec les outils numériques, qui offrent une visibilité constante sur les « meilleures options possibles » (comparateurs, avis clients, réseaux sociaux, etc.), augmentant la pression de toujours pouvoir faire mieux. Les effets du FOBO sont multiples : sur le plan personnel, il engendre procrastination, anxiété et perte de confiance dans ses capacités à décider. Dans les relations, il nourrit une logique de zapping affectif, où l’engagement devient difficile car on craint toujours de « passer à côté de mieux ». Professionnellement, il peut conduire à des carrières erratiques ou à une insatisfaction chronique, par peur de s’engager dans un poste « imparfait ».
On peut interpréter FOBO comme une modalité quotidienne de la fatigue d’être soi. La difficulté à choisir n’est pas anodine : elle révèle une angoisse existentielle, celle de ne pas être à la hauteur de soi-même. L’individu qui souffre de FOBO n’est pas simplement indécis ; il est en permanence confronté à l’exigence de faire le meilleur choix, c’est-à-dire celui qui maximisera ses performances, son bonheur, son image sociale. Chaque choix devient une mise en scène de soi, un test d’optimisation identitaire. Or, cette logique conduit à un paradoxe : plus le choix est valorisé, plus il devient impossible. L’individu se retrouve dans un état de suspension, de tension, d’attente, incapable de se poser, épuisé par la multiplicité des possibles. Cela prend tout son sens dans le contexte contemporain, où l’individu est conçu comme un entrepreneur de lui-même. L’identité n’est plus donnée mais à construire, à gérer, à optimiser. Le moi devient un projet, un capital à valoriser. Dans ce cadre, chaque décision est une prise de risque, une opération de branding, un investissement sur soi. FOBO est alors l’expression micropsychologique de cette macrostructure : une incapacité à clôturer le champ des possibles parce qu’on a intériorisé l’idée que ne pas faire le meilleur choix, c’est faillir en tant que sujet.
Revenir au choix incarné : vers une écologie de la décision
Face à la spirale du FOBO, plusieurs pistes peuvent être envisagées : cultiver la suffisance : apprendre à dire « c’est assez », à habiter ses choix même s’ils ne sont pas parfaits. Réhabiliter l’intuition : accepter que certaines décisions échappent à la rationalité et s’en remettre à son ressenti. Redonner une place à la perte : tout choix implique un renoncement. Accepter cela, c’est retrouver une forme de liberté. Limiter volontairement les options : comme le propose la philosophie de la simplicité volontaire, le renoncement à certaines possibilités peut enrichir l’expérience vécue.
Choisir, c’est s’affirmer
Dans un monde où l’individu est quotidiennement confronté à une multitude de possibilités, le simple fait de choisir peut paraître banal. Et pourtant, choisir, c’est poser un acte de souveraineté intérieure, c’est affirmer sa singularité. C’est aussi prendre position, parfois contre l’évidence, contre le consensus ou contre soi-même. Dans un contexte contemporain où l’idéologie du « tout est possible » coexiste avec une peur de l’engagement, le choix devient à la fois un geste intime et un acte de résistance. On oublie souvent qu’un choix véritable suppose une renonciation. Choisir, c’est dire oui à quelque chose et non à tout le reste. Cette perte volontaire est ce qui donne au choix sa densité. Il n’y a pas de décision pleine sans un certain deuil, de ce qui aurait pu être, des autres soi possibles, des chemins non empruntés. Mais ce renoncement n’est pas une faiblesse. Il est le signe d’une maturité intérieure, d’une capacité à supporter la finitude, à accepter l’imperfection. Il signifie que l’on cesse de flotter dans le virtuel des possibles pour habiter pleinement une réalité choisie.
Choisir, c’est se définir
Le choix est aussi un geste d’identité. À travers lui, l’individu se positionne dans le monde, affirme une orientation, une valeur, une priorité. Ce peut être un choix de métier, d’amour, de mode de vie, mais aussi un choix éthique, politique, esthétique. En choisissant, on cesse d’être passif ou indéfini ; on signe son existence. C’est par nos choix que nous devenons sujet. Cette perspective est un appel à l’authenticité : choisir, c’est se confronter à la question « qui suis-je ? », non pour y répondre théoriquement, mais pour y répondre en actes.
Choisir suppose du courage, car aucune décision n’est garantie. L’incertitude est le prix de la liberté. Dans un monde qui valorise l’optimisation, le calcul rationnel, l’assurance, choisir reste un acte vulnérable. On peut se tromper. On peut regretter. Mais renoncer à choisir pour éviter l’erreur, c’est déjà se nier soi-même. En ce sens, le choix est un acte existentiel par excellence : il engage non seulement un résultat, mais une manière d’être au monde. Il nous rend responsables de ce que nous vivons et de ce que nous devenons.
Choisir, c’est s’émanciper
Il existe des choix qui ne sont pas simplement personnels, mais émancipateurs. Dire non à une voie tracée d’avance, refuser les modèles dominants, inventer un mode de vie alternatif : tout cela relève de l’affirmation de soi contre la conformité. Dans cette perspective, choisir devient un acte politique. Il n’est plus seulement le fruit d’un calcul individuel, mais la manifestation d’un désir de vivre autrement. Ce peut être le choix de décroître, de créer, de croire, de militer, d’aimer en dehors des cadres attendus. Autant de gestes qui affirment : « je ne suis pas ce que l’on attend de moi ».
Conclusion :
FOMO et FOBO engendrent tous deux une forme d’insatisfaction permanente. Dans le FOMO, aucune expérience n’est pleinement vécue car l’attention est ailleurs, tournée vers ce qui manque. Dans le FOBO, aucune décision ne semble jamais définitive ou satisfaisante. Ce sont deux formes d’exil de soi : l’une par excès d’agitation, l’autre par excès de retenue. La personne prise dans le FOMO se perd dans l’hyperactivité ; celle saisie par le FOBO s’enferme dans l’indécision.
Face à ces deux figures de l’angoisse contemporaine, il devient nécessaire de cultiver une sagesse du choix : celle qui accepte l’imperfection, la finitude, le risque de se tromper. Il s’agit d’apprendre à choisir en conscience, sans céder à l’illusion de la maximisation permanente. Cela implique aussi une revalorisation du présent vécu plutôt que du possible inaccessible : habiter une relation, un engagement, une expérience, non parce qu’elle est la meilleure objectivement, mais parce qu’elle est la nôtre. Choisir, ce n’est pas simplement préférer. C’est s’engager, se dévoiler, exister pleinement. C’est acter que l’on est sujet, et non simple objet des déterminismes sociaux, des algorithmes ou des influences extérieures. Dans un monde saturé d’options et de stimulations, choisir devient un art, voire une discipline intérieure : celle de ne pas tout vouloir, mais de vouloir vraiment. Comme l’écrivait Kierkegaard, choisir, c’est s’engager malgré l’incertitude. Contre la tyrannie des options infinies, il devient urgent de revendiquer le droit à une décision incarnée, imparfaite, mais pleinement vivante
L’intolérance à l’incertitude et le trouble d’anxiété généralisée