Hakuna Matata ce mot signifie que tu vivras ta vie sans aucun souci…. (je vous entends chanter la suite)
À première écoute, l’expression semble n’être qu’un refrain joyeux, un gimmick de savane pour fuir les responsabilités. Et pourtant, en creusant sous la surface musicale, ce proverbe swahili, popularisé par Le Roi Lion, recèle une profonde sagesse. Non pas l’insouciance naïve, mais une posture de liberté intérieure face à l’adversité. Et si Timon et Pumba étaient les Sénèque et Épictète de la brousse ? Et si Hakuna Matata était, en fait, un mantra stoïcien ?
Hakuna Matata, ou l’art de l’assentiment
Chez les stoïciens, le bonheur ne dépend jamais des circonstances extérieures. Il ne réside pas dans la richesse, la gloire, la santé ou même la sécurité, mais dans l’assentiment lucide à ce qui est. Il s’agit d’accepter ce qui ne dépend pas de nous et de cultiver la vertu dans ce qui en dépend. “Hakuna Matata, quel chant fantastique !”
Le mantra swahili signifie littéralement : “Il n’y a pas de problème” ou “Pas de souci”. Ce n’est pas de l’indifférence, mais une acceptation tranquille de ce qui est, dans la lignée du amor fati (l’amour du destin) cher à Marc Aurèle ou à Nietzsche. Timon et Pumba ne prétendent pas fuir le réel : ils proposent de ne pas se laisser affecter par ce qu’on ne peut pas changer. C’est l’essence du stoïcisme : trier entre ce qui dépend de nous (nos jugements, nos actions) et ce qui n’en dépend pas (les événements, la mort, la pluie, la trahison). Simba, jeune lion rongé par la culpabilité et l’exil, découvre auprès de ses deux compères une forme de libération. En acceptant son passé et en cessant de lutter contre ce qui est arrivé, il commence à se reconstruire. “Ces deux mots te résoudront tous tes problèmes.” Ce qui résonne ici, c’est l’idée stoïcienne que le trouble naît de notre interprétation des faits, et non des faits eux-mêmes. Sénèque écrivait : “Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.” Timide sagesse dans le pelage d’un suricate et d’un phacochère : changer son regard sur le monde pour cesser d’en être l’esclave.
Marc Aurèle désigne plusieurs cercles qui entourent le moi. L’exercice philosophique consiste précisément à les rejeter comme étrangers.
Tout d’abord, le cercle des autres. Il faut cesser de s’inquiéter de ce qu’un tel dit ou pense et de pourquoi il le fait. Ce que penseront les lions de ce qu’a fait Simba ne doit pas le préoccuper.
Ensuite, le cercle du passé et de l’avenir. De fait, ni le passé ni l’avenir ne sont en notre pouvoir. Seul le présent dépend de nous. Sur lui, concentrons nous. Inutile de ressasser la mort de Mufasa. C’est du passé.
Puis, le cercle des émotions que font naître à tort en nous certains événements. Nous les interprétons d’une manière qui fait que nous sommes profondément affectés par eux. Veillons à regarder les événements de façon neutre et objective sans leur surimposer une interprétation erronée. La mort de Mufasa est en soi un phénomène naturel.
Enfin le cercle du destin lui-même. Si l’on apprend à reconnaître que le cours des choses nous est étranger, nous serons, bien qu’emporter dans le flux du destin, comme élevés au dessus de lui. Simba n’est pas la cause de la mort de son père. Il n’est pas maître du destin.
Tel est bien l’enseignement que Simba reçoit de ses deux amis philosophes. Grâce et avec eux, il se bâtit une citadelle intérieure au milieu du désert. L’image est stoïcienne : si l’altérité est hostile au moi, il peut en se recentrant sur lui même jouir même au coeur de l’adversité. Les trois ensemble, concentrés sur l’instant c’est à dire sur la seule chose qui est en leur pouvoir, connaîtra l’absence de trouble de l’âme que les Grecs appellent « bonheur ».
Des stoïciens farceurs, mais des sages tout de même
Ne nous laissons pas berner par l’humour de Timon et la maladresse tendre de Pumba. Leur mode de vie n’est pas celui du plaisir à outrance, mais d’un minimalisme joyeux et d’une sérénité robuste. Ils mangent peu (des insectes gluants mais appétissants), dorment à la belle étoile, chantent, rient, dansent… et surtout, ne se préoccupent ni du passé ni du futur. Comme le dit le stoïcien Épictète : “Il ne faut pas espérer les événements arrivent comme tu le veux, mais les vouloir comme ils arrivent : ainsi tu seras heureux.” Telle est la sagesse de Hakuna Matata : un détachement joyeux et lucide, une posture intérieure face à l’impermanence du monde.
Bien sûr, le film ne s’arrête pas à cette philosophie. Simba finit par quitter la forêt enchantée et retourner affronter son passé, libérer le royaume, assumer son rôle. On pourrait y voir une critique de Hakuna Matata comme une fuite. Mais à y regarder de plus près, c’est justement parce qu’il a appris à se détacher de la peur et du remords que Simba devient capable d’agir. Ce n’est pas en opposition au stoïcisme, mais dans sa plus pure application : une action juste, née d’un cœur pacifié. Le stoïcisme n’est pas la passivité, mais l’action vertueuse, libérée de l’attachement aux résultats.
Conclusion : le stoïcisme de la savane
Hakuna Matata, ce n’est pas la négation du monde : c’est la sérénité dans le monde. Un art de vivre souple et joyeux, qui puise dans le stoïcisme une forme d’élégance existentielle : ne pas se troubler des choses, mais danser avec elles. Et si nos sociétés anxieuses, hyperconnectées, en quête de maîtrise, avaient quelque chose à apprendre de ce duo burlesque ? Leur philosophie du “sans souci” n’est pas une distraction, mais une invitation à réinventer notre rapport au réel.Alors oui, le monde brûle, les royaumes s’effondrent, les ombres rôdent. Mais quelque part, entre les feuilles d’une jungle chantante, Timon lève un sourcil, Pumba pousse un grognement, et la sagesse fait son entrée… en chantant : “Hakuna Matata…”
Source : Marianne Chaillan