La solitude : un fait social d’une société moderne mondialisé

La solitude : un fait social d’une société moderne mondialisé

La plupart des individus en situation de solitude ont un besoin légitime de faire l’objet d’une reconnaissance mutuelle. Trouver des individus qui partagent leur pensée, qui les comprennent davantage pour ce qu’ils sont, tels qu’ils sont.

 

Dans la tradition :

Pendant longtemps, la solitude a été perçue comme bénéfique. Elle était perçue par les poètes, les artistes, les romanciers et les philosophes dans la tradition, comme une félicité, d’une méditation qui permet d’être présent. Comme être suffisamment pur pour être le seul juge de soi-même. Cela est également présent dans la vie des ermites par exemple ; un lien de pure présence envers soi-même, Dieu et la nature. De même, la figure du héros est celle d’une personne qui se trouve dans une solitude absolue, bien qu’elle soit entourée et non isolée. Il est confronté à une destinée inconnue qui lui est totalement unique et qui diffère de la communauté. Son expérience et sa singularité ne peuvent être vraiment compris par personne (Hercule, Ulysse, Œdipe, ou plus récemment Batman ou superman). Il s’agit d’une personnalité qui combine l’héroïsme de la solitude avec son aspect tragique.

Dans sa dimension tragique, la douleur n’est pas le résultat d’une séparation sociale, mais personne ne nous reconnaît dans notre singularité, personne ne nous « comprend ». Il s’agit d’une tension entre une sensation d’émancipation et un désir de reconnaissance. La solitude offre une opportunité pour émanciper, mais dans la solitude, je ressens le sentiment que personne ne me reconnaît pour ce que je suis. Par exemple, Aragon ne réalise qu’à l’âge de 20 ans qu’il est le fils du descendant légitime par Elrond, et se retrouve enfermé dans cette solitude, incapable de se faire reconnaître, ce qui le rend errant. Jusqu’à ce que la société admette sa véritable identité et lui accorde sa place. 

 

Regard sur d’autres cultures :

Si une société croit qu’il y a une communauté d’âme, et qu’un groupe partage une âme, cela signifie que si une personne commet un crime, c’est tout le groupe qui peut être puni. Si quelqu’un fait un rêve, cela peut être un esprit qui se rend dans tout le groupe. La solitude dans ce contexte n’a pas de sens. De la même manière, dans une société où la question du Moi est considérée de manière très négative, comme cela peut être le cas dans de nombreuses sociétés bouddhistes, il est possible de souffrir de ne pas être suffisamment soi-même, reconnu, et de se projeter dans une souffrance « du moi ». Cependant, cela diffère grandement de ce que l’on peut vivre aujourd’hui en France lorsqu’on éprouve cette expérience très singulière et très particulière, qui consiste à être confronté à des personnes qui ne sont pas des semblables et à la fois pas assez similaires à soi.

 

Solitude en France à notre époque :

 

Selon Zygmunt Bauman, on parle ici de l’anthropologie profonde des sociétés liquides. Selon lui, nous sommes maintenant dans un monde fluide. La modernité est marquée par la vitesse, l’éphémère et la mobilité, où le consumérisme exacerbé a rendu tout consommable et jetable, y compris nos identités.

Alors que nous sommes de plus en plus connectés, rassemblés les uns sur les autres, comment peut-on faire face à une solitude de plus en plus grande alors que nous sommes de moins en moins isolés du monde?

 

D’un point de vue isolement, la sociologie, montre, que nous sommes de plus en plus seul.

Les familles se réduisent de plus en plus à leur niveau minimum, et les individus les plus exposés à l’isolement sont les personnes âgées, pauvres et handicapées. Il existe de plus en plus de cas et de constructions de manéages où l’on s’installe et où l’on reste seul. De la même façon, le développement de l’auto-entreprenariat et de l’entreprise individuelle se développe, ce qui entraîne une expérience de plus en plus isolée socialement. Notre société se transforme donc en un ensemble de personnes seules qui ne sont pas liées et qui peuvent se défaire et se refaire à l’infini.

 

Qu’arrive-t-il, quand nous n’établissons plus de relations fondées sur une reconnaissance mutuelle ? Qu’arrive-t-il lorsque les relations sont purement fonctionnelles sans avoir à inventer le quotidien avec son voisinage ?

Deux risques existent : la dépression, quand personne ne me reconnaît plus, il devient extrêmement difficile de maintenir une bonne image de moi. Et la dé signification (la perte de sens) Si je suis le seul à croire que cela a une valeur, que tel sentiment politique a une valeur, que tel rapport à la vie a une valeur…si je suis convaincu d’être le seul à le croire, alors cela n’a plus de sens et ma vision est perçue comme une folie.

 

Un vécu collectif avec des personnes pas assez semblable et pas assez différentes qui renforce le sentiment de solitude.

  • La perte de différence. Si l’on considère la population française dans sa totalité, dans une grande majorité, elle parle français, s’habille de la même façon ou presque, porte presque les mêmes parfums, consomme les mêmes publicités, le même contenu culturel, la même musique, partage les mêmes dégouts (au niveau élémentaire : manger du chien cru par exemple). La population n’a jamais été aussi homogène. Une telle population n’a jamais adopté les mêmes normes. Ce n’est que cette identité (au sens sociologique de partager de l’identique) qui ne génère pas d’affection (au sens de relations affectives suffisamment fortes, entre ces individus). La plupart des individus sont semblables (à l’exception des questions de « modes »), mais ne se reconnaissent pas comme semblables. La similarité ne se manifeste que chez des individus réellement différents dans d’autres pays et d’autres cultures, qui mettront en évidence, par contraste, ce qui les unit. La globalisation élimine les échanges locaux qui nous rattachent à un territoire. Plus l’interdépendance se développe à une échelle plus étendue, plus elle diminue la dépendance au niveau local. Ainsi, je ne serai plus impliqué avec mon voisinage dans la création de mon routine, de ma façon de vivre ma vie quotidienne. En réalité, je diminue également la production de sens, de signification et de valeur à l’échelle de la population, c’est-à-dire avec les individus que je rencontre. Les personnes que je rencontre à mon échelle locale ne me sont plus nécessaires, cela remet en question la civilité (la vie civile partagée à mon échelle).

 

  • La perte du semblable. Pensons à une personne qui éprouve une profonde solitude, qui réside dans une petite ville, qui a la possibilité d’aller dans des clubs, des réunions municipales et à la bibliothèque. Elle connaît par prénom toutes les personnes qui peuvent venir à son secours, du corps médical ou pour l’aider au quotidien. Pourquoi ressent-elle une profonde et véritable sensation d’isolement ? En discutant avec elle, nous apprenons qu’elle a deux fils, l’un qui ne souhaite plus lui parler, et l’autre qui vit très éloignée et donc ne la voit plus. On s’aperçoit peu à peu qu’elle ressent un profond abandon de la part de son entourage. En allant à la retraite, elle se retrouve donc dans une situation où son identité sociale s’est effondrée, et en même temps, elle n’a plus de reconnaissance familiale car son mari n’est plus présent et elle n’a plus de nouvelles de ses enfants. En réalité, peu importe le nombre de personnes qui l’entourent, elle va ressentir de la solitude en raison de l’absence de reconnaissance. En tant que mère, femme, ancienne ouvrière avec ses valeurs, elle est perçue comme une vieille personne qui souffre de solitude. Elle n’est plus reconnue pour ce qu’elle est, pour la manière dont elle désire être reconnue.

 

La solitude est donc associée à diverses dépendances sociales, notamment les dispositifs et les technologies qui facilitent votre vie, votre travail, votre ressenti, votre socialisation, votre divertissement, votre intégration, votre vie dans notre environnement et votre caractère qui relie les expériences des individus dans une même localité. Tout cela dans un langage de plus en plus abstrait avec des concepts désignifiés (dont on retire le sens) dans un langage totalement aseptisé et hors du réel, ce qui accentue et renforce la distance entre les individus. Cela entraîne une rupture de signification à l’échelle de la fréquentation (des individus que l’on rencontre localement). Cela génère un quotidien profondément hétérodoxe, ce qui renforce encore plus le sentiment d’isolement au niveau personnel et crée une fragmentation sociale. Le sentiment d’appartenance est fragilisé par la réduction des solidarités de grandes échelles qui se rapprochent d’une échelle bien plus réduite.

 

La solution devant cela :

La plus efficace consiste précisément à recréer des liens. En cherchant à soutenir, et en cherchant à être soutenu, en cherchant à entourer, et en cherchant à être entouré, en cherchant à être nombreux, et en cherchant à être dérangé (ce qui apporte du réel et du semblable dans nos interactions). Afin d’éviter la solitude, il est nécessaire de développer des liens qui tiennent compte de la dimension affective, c’est-à-dire de la reconnaissance mutuelle de l’autre et de soi-même.

 

Basé sur les travaux de l’anthropologue A. Duclos. 

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