Les Thérapie des États du Moi (psychologie clinique)

Les Thérapie des États du Moi (psychologie clinique)

Il est un secret que l’âme humaine murmure à qui sait l’écouter : nous ne sommes pas un, mais plusieurs. Loin de la conception monolithique du « moi », les approches contemporaines en psychothérapie reconnaissent et accueillent la multiplicité de nos états du moi. Les Thérapies des États du Moi, l’Ego State Therapy ou encore le modèle IFS (Internal Family Systems) s’inscrivent dans la lignée des thérapies brèves et dessinent des cartes sensibles de cette pluralité. Elles offrent aux cliniciens des outils puissants, ancrés dans la clinique du trauma, pour dialoguer avec les mondes intérieurs, non comme des symptômes à corriger, mais comme des présences à entendre.

La Thérapie des États du Moi repose sur plusieurs postulats :

  1. Le moi est multiple : chaque individu est constitué d’une pluralité d’états du moi, c’est-à-dire de sous-systèmes psychiques autonomes, cohérents, parfois conflictuels, qui émergent selon les contextes.
  2. Ces états sont normaux : ils ne relèvent pas nécessairement d’une pathologie. Par exemple, l’état du moi « professionnel » diffère de l’état du moi « familial ».
  3. Les traumatismes non intégrés peuvent créer des clivages : certains états du moi peuvent se figer, se dissocier ou se développer de façon défensive, engendrant des symptômes.
  4. Le travail thérapeutique consiste à identifier, écouter, réconcilier et réintégrer ces parties dans une dynamique plus harmonieuse.

 

Tous ceux que nous avons été nous constituent et se trouvent dans le présent, mais s’y trouvent soit « accueillis et intégrés » soit  « coupés et mis à distance ».

Nous sommes chacun constitués de nombreux états différents

Par exemple, nommez en vous-mêmes un observateur, demandez-lui de voir pour vous ce que vous faites vraiment quand vous êtes dans une relation sociale, de manière à prendre conscience que ce que vous appelez votre personnalité est une sorte de village dans lequel bougent et vivent un assez grand nombre de personnages qui prennent la parole les uns après les autres et qui occupent chaque fois toute la scène. Je suis coléreux, mais je ne suis pas que ça. Et pourtant, quand le coléreux occupe le champ de conscience, il dit “je”, il m’embarque tout entier dans sa bêtise. Nous sommes ainsi manipulés par des “je” successifs. Mais qui, véritablement, a le droit de dire “je” ? 

D’où viennent les États du Moi ?

Ils se forment dans la répétition d’une tâche : l’apprentissage de la tâche crée un chemin neuronal, qui a son propre niveau d’émotion, de capacité, d’expérience vécue.

Ils se forment dans l’expérience via un feedback, les feedbacks positifs favorisent le déploiement d’un comportement ,
les feedbacks négatifs favorisent le refoulement d’un comportement, les apprentissages comportementaux deviennent des parts de la personnalité.

Ils se forment comme réactions à traumatismes : dissociation et posture de survie face à l’exposition à une anxiété, peur…

Face à un besoin donné : l’Ego State approprié à remplir un besoin se présente, selon l’apprentissage, et s’active dans 4 modes possibles, que Federn nomme les « 4 conditions des Egos states »

Cette méthode se distingue par sa plasticité. Elle peut s’intégrer dans :

  • une psychothérapie analytique (en lien avec le transfert et les conflits intrapsychiques) ;
  • une approche comportementale (en ciblant les automatismes internes) ;
  • une hypnothérapie (le travail en transe facilite l’accès aux états du moi) ;
  • une thérapie des traumatismes (type EMDR, IFS, ou sensorimotrice).

 

L’Ego State Therapy – Une archéologie des sous-personnalités

Développée notamment par John et Helen Watkins à partir des années 1970, l’Ego State Therapy repose sur un postulat fondamental : la personnalité humaine est constituée d’états du moi (ego states), ensembles cohérents de pensées, affects, comportements et souvenirs, qui peuvent être plus ou moins dissociés les uns des autres. Ces états ne sont pas pathologiques en soi. Ils se forment souvent pour faire face à des situations spécifiques, conflits, traumatismes, choix moraux complexes, et coexistent au sein du psychisme comme des pièces dans une même maison.

L’objectif thérapeutique consiste à :

  • Identifier les ego states dominants, opposés ou exilés ;
  • Favoriser la communication entre eux par hypnose, imagerie mentale ou dialogues internes guidés ;
  • Réintégrer les états clivés pour restaurer la fluidité psychique.

Ainsi, une patiente aux prises avec une phobie sociale pourrait avoir un état-enfant blessé profondément craintif, un gardien protecteur hypervigilant, et un critique intérieur perfectionniste. La thérapie vise alors non à « éliminer » ces parts, mais à écouter ce qu’elles protègent.

 

 

Le modèle IFS – Une éthique du dialogue intérieur

Développé par Richard C. Schwartz dans les années 1980, le modèle IFS va plus loin en proposant une ontologie systémique de la psyché. Il affirme que chaque être humain est composé de parts qui interagissent entre elles comme une famille intérieure, parfois harmonieuse, souvent conflictuelle. Au cœur de ce système réside le Self, une instance centrale, non blessée, incarnant des qualités telles que la calme, curiosité, compassion, clarté, confiance. Le Self n’est pas une part de plus, mais un espace de présence consciente qui peut entrer en relation avec les autres parts, sans fusion ni rejet. La guérison ne consiste pas à abolir les parts, mais à les écouter, les comprendre, et les réintégrer sous la conduite bienveillante du Self.

 

Les concepts-clés de l’IFS

  1. Le Soi (Self)

Au cœur du modèle IFS se trouve le Soi (Self), une instance centrale dotée de qualités telles que la compassion, la curiosité, la clarté, la créativité, le calme, le courage, la confiance et la connexion (les 8 C en anglais). Le Soi n’est pas une part, mais une présence intérieure profonde, capable de guider le système intérieur avec sagesse et bienveillance. La thérapie IFS vise à restaurer l’accès à ce Soi, afin qu’il puisse interagir de manière harmonieuse avec les parts.

  1. Les Parts

Le modèle IFS distingue trois grandes catégories de parts :

  • Les Exilés : ce sont des parts blessées, souvent issues de traumatismes précoces. Elles portent des émotions intenses comme la honte, la peur ou la tristesse. Elles sont souvent « exilées » par le système parce qu’elles sont trop douloureuses à vivre au quotidien.
  • Les Managers : ce sont des parts protectrices proactives, qui organisent notre vie pour éviter que les exilés ne soient réactivés. Elles contrôlent, critiquent, perfectionnent ou anticipent, dans un souci de protection.
  • Les Pompiers : ce sont également des protecteurs, mais ils interviennent de façon réactive. Ils agissent pour éteindre la souffrance lorsqu’un exilé est activé. Cela peut se manifester par des comportements impulsifs : compulsions, addictions, dissociations, etc.

Chaque part a une intention positive, même si ses moyens sont parfois inadaptés. La clé de la thérapie IFS est donc de ne pas rejeter ces parts, mais de les écouter, les comprendre et les apaiser.

Le processus thérapeutique

La démarche IFS consiste à accompagner le patient dans l’exploration de son monde intérieur, en établissant une relation entre le Soi et ses parts. Le thérapeute guide l’individu à :

  1. Identifier les parts à l’œuvre dans une situation donnée.
  2. Créer un espace de dialogue intérieur, sans jugement.
  3. Désamorcer les protecteurs (managers et pompiers) qui empêchent l’accès aux exilés.
  4. Accéder aux exilés, leur offrir du soin et permettre leur « désactivation émotionnelle ».
  5. Aider les protecteurs à se réorganiser, une fois que leur rôle de défense n’est plus nécessaire.

Ce processus favorise une intégration intérieure, une meilleure régulation émotionnelle et un renforcement de la cohérence du système psychique.

 

Une approche intégrative et humaniste

L’IFS se distingue par sa vision non pathologisante des symptômes : ce ne sont pas des dysfonctionnements à corriger, mais des appels à l’écoute. Elle considère que chaque personne a en elle les ressources nécessaires à sa guérison, à condition de retrouver l’accès à son Soi. Par ailleurs, l’IFS s’inscrit dans une approche intégrative, en résonance avec des traditions anciennes (parts de l’âme dans le chamanisme, figures archétypales en psychanalyse jungienne) et des approches contemporaines (pleine conscience, théorie polyvagale, psychologie énergétique).

 

 

Vers une clinique poétique de la multiplicité

Ces approches s’inscrivent dans une clinique contemporaine du trauma, où la dissociation n’est pas une pathologie aberrante, mais une stratégie de survie. Elles rejoignent également des intuitions anthropologiques profondes : la personne humaine est relationnelle, tissée de voix, d’histoires, de masques, d’ombres et de lumières. IFS et Ego State Therapy incarnent une forme de médecine narrative de l’âme, dans laquelle le thérapeute devient le passeur entre les fragments du moi. Cette démarche est résolument non pathologisante, fondée sur la conviction que chaque part a une intention positive, même si ses stratégies sont parfois destructrices. Ces modèles permettent notamment d’éviter les confrontations directes avec les exilés, en passant par le respect des protecteurs, ce qui évite les retraumatisations. C’est une thérapie intimiste, prudente, profondément respectueuse du tempo psychique.

 

 

Conclusion – Réconcilier les voix du dedans

Dans un monde où l’on exige souvent de « rester fidèle à soi-même », IFS et l’Ego State Therapy nous rappellent que le soi est une chorale, non une voix unique. Accompagner quelqu’un à rencontrer ses parts blessées, protectrices, honteuses ou flamboyantes, c’est lui offrir une seconde naissance : celle où l’on cesse d’être prisonnier de ses rôles pour devenir l’hôte attentif de ses mondes intérieurs.

Et si, au lieu de nous efforcer d’être cohérents, nous apprenions à être accordés ?
Non pas un moi figé, mais une symphonie en devenir.
Car en chacun sommeille un orchestre, attendant son chef compatissant.

 

Exercice pratique :

Vous pouvez faire cela sous auto-hypnose si vous savez déjà le faire. 

Identification de parties 

  • Pensez à un problème ou une situation conflictuelle à l’intérieur de vous.
  • Identifiez, nommez, décrivez mentalement les parties de vous qui alimentent cette situation, une à une. Sentez-vous libre d’utiliser des images, des métaphores, des références qui font partie de votre culture.
  • Toujours mentalement, prenez le temps de définir de quelle manière ces parties apparaissent dans votre vie, à quels moments précis, comment vous pouvez prendre conscience de leurs présences.
  • Posez comme intention d’accepter totalement l’existence de ces facettes de vous-mêmes : un fumeur gagne à commencer par accepter sa dépendance, à l’accueillir pour mieux la comprendre.
  • Posez également l’intention de continuer cet exercice dans les jours à venir, au fil des événements de votre vie, à chaque manifestation de ce problème. Ce sera une manière d’affiner la rencontre de ces parties de vous-même.
  • Remarquez comment cela agit déjà sur la forme et la compréhension de votre problème.

Exercice de négociation de ces parties identifiées (avec hypnose)

  • Prenez le temps de réaliser l’exercice ci-dessus.
  • Posez l’intention d’installer une partie dans l’une de vos mains, et une deuxième dans l’autre main. Celles-ci étant posées sur vos cuisse, en position assise.
  • Imaginez à quoi ressemblent ces parties dans vos mains (forme, poids, couleur, texture etc.), ressentez leurs présences, permettez-leur de prendre vie, c’est à ce moment que votre inconscient comprend ce que vous faites.
  • Tour à tour, associez-vous à chaque partie, en pensant comme elles pensent, en ressentant ce qu’elles ressentent. Plus votre attention passera d’une main à l’autre, et donc d’une partie à l’autre, et plus l’expérience sera hypnotique, et donc efficace.
  • Posez-leur des questions, interrogez leurs intentions, leurs avis sur l’existence de l’autre partie. Les réponses seront des choses qui viendront naturellement, soyez attentif, laissez les mots venir sous forme de pensées. Continuez tant que c’est nécessaire, la négociation est lancée !
  • Proposez à vos mains de se rejoindre d’elles-mêmes, plus elles se rejoignent et plus, elles trouvent un terrain d’entente, une solution adéquate, même si cette solution n’est pas claire pour vous pour le moment.

Une vidéo complémentaire qui parle de ces visions :