Trouver une forme de paix à l’ère de la valorisation de soi

Trouver une forme de paix à l’ère de la valorisation de soi

À notre époque, l’impératif de production et de performance ne s’arrête plus aux portes de l’usine ou du bureau. Il envahit les subjectivités, transforme les existences en entreprises, les individus en « capital humain » à optimiser. Ce modèle, qu’on peut qualifier de produciériste, génère une forme insidieuse de souffrance psychique : la valorisation de soi comme devoir, comme obligation constante d’amélioration, d’efficacité, de visibilité. Comment résister à cette logique psychologique du capitalisme ? Quels outils pour préserver son intériorité, sa santé mentale ?

 

 

Le produciérisme : de l’économie à la subjectivité

Le mot produciérisme désigne l’idéologie selon laquelle produire est une finalité en soi. L’individu devient sa propre entreprise soumis à une auto-surveillance constante. Comme l’analyse Alain Ehrenberg dans La fatigue d’être soi, l’individu contemporain ne subit plus la répression des normes, mais l’injonction à se réaliser, à être autonome, performant, désirable. Cela produit un nouveau type de souffrance : non plus l’aliénation au travail, mais l’épuisement intérieur face à la tyrannie de l’auto-valorisation.

Ce système engendre une série de pathologies psychiques bien documentées par la psychologie contemporaine : Burn-out : épuisement par surinvestissement personnel. Dépression existentielle : sentiment d’échec à « être à la hauteur » de ce que l’on devrait être. Anxiété de performance : peur chronique de l’insuffisance. Perte de l’estime de soi : liée à l’intériorisation des évaluations constantes (notes, likes, etc.).

 

Une écologie de l’âme

Résister au produciérisme, c’est d’abord reconnaître en soi la présence de cette logique intériorisée. Cela suppose une démarche réflexive : se libérer des injonctions internes qui miment le discours de la société. Quelques pistes concrètes :

Redéfinir la valeur de l’existence

Opposer à la logique utilitariste de la vie productive une éthique de l’existence signifiante. La pensée d’Ivan Illich rappelle que la valeur d’une vie ne se mesure pas à sa productivité, mais à sa capacité d’attention, de lien, de contemplation.

Ralentir pour se réapproprier son temps

Le mouvement de la slow life, ou encore les pratiques contemplatives (méditation, prière, nature) constituent des gestes de résistance : ils réaffirment que le temps humain ne peut être réduit à celui de la production.

Créer des zones de gratuité et de jeu

Le jeu, l’art, la parole libre, le rêve, les relations désintéressées sont autant de lieux où la logique de rendement s’interrompt. Le psychanalyste Winnicott parle de ces espaces transitionnels comme d’espaces de créativité qui fondent la santé psychique.

Tisser des liens, recréer du commun

La psychologie contemporaine insiste sur le rôle fondamental du lien social non-instrumental. Barbara Stiegler montre que résister au néolibéralisme passe par la réinvention de communs, de solidarités, de pratiques locales fondées sur l’écoute, le soin, l’habiter. Le produciérisme isole, culpabilise, mesure ; le soin partagé relie, accueille et restaure.

 

 

Conclusion

Résister au produciérisme consiste refuser l’assimilation de la valeur humaine à la valeur marchande. C’est une démarche profondément psychologique, mais aussi spirituelle et philosophique. Elle passe par le refus de l’injonction à la performance, par le retour à une écoute de soi libérée des évaluations, et par la construction de solidarités réelles. C’est, en somme, retrouver le droit d’être sans avoir à constamment justifier sa place.

 

Sources :

  • Ehrenberg, A. (1998). La fatigue d’être soi. Paris : Odile Jacob.
  • Foucault, M. (2004). Naissance de la biopolitique. Paris : Gallimard.
  • Verhaeghe, P. (2013). Les nouvelles maladies de l’âme. Paris : LLL.
  • Stiegler, B. (2019). Il faut s’adapter. Paris : Gallimard.
  • Illich, I. (1973). La convivialité. Paris : Seuil.

Les nouvelles psychopathologies lié à notre société