Ecospiritualité: un moyen de recréer du sens

Ecospiritualité: un moyen de recréer du sens

 De nombreuses voix s’élèvent pour dépasser le dualisme nature/culture, l’idée d’une nature-objet-ressource et le paradigme dominant de l’anthropocentrisme ; il s’agit de reconnaître une valeur intrinsèque, et donc des droits, à la nature, qui devient désormais sujet. En invitant l’homme à renouer avec son milieu de vie non-humain et à réhabiter la Terre, en communion avec elle et non contre elle, un certain nombre d’intellectuels et d’écologistes militants semblent vouloir intégrer une dimension spirituelle dans l’écologie.

 

   Pour Michel Maxime Egger, auteur de deux ouvrages sur l’écospiritualité, les écogestes, ainsi que les réformes politiques et économiques sont nécessaires. Mais l’auteur nous invite à aller plus loin : «Les racines des problèmes écologiques et socio-économiques sont spirituelles. Elles manifestent une crise généralisée du sens et du lien». Nos actions doivent se fonder sur une écologie intérieure. Celle-ci implique une remise en question des valeurs de l’avoir et appelle à enraciner nos vies sur des bases plus nobles. Ce n’est qu’à cette condition qu’un réel changement de paradigme serait possible. 

L’écospiritualité permet de sortir du registre de l’écologie politique. Cette dernière situe le problème de l’écologie dans les méthodes de production capitaliste et dans les rapports de pouvoir Nord-Sud. Plus proche du quotidien, l’écospiritualité permet d’impliquer concrètement chaque personne ordinaire dans le virage écologique. Il s’agit d’une prise de conscience et d’une manière de penser à la fois philosophique et théologique. La crise écologique est reliée à un changement existentiel profond. L’écospiritualité invite à réorienter le sens de la vie humaine en la rapprochant des rythmes de la nature. 

Même s’il ne fut pas un écopsychologue, le sociologue allemand du début de XXème siècle, Max Weber, a forgé une expression qui dévoile bien la nature du problème en parlant du capitalisme comme étant un système historique générateur de « désenchantement du monde ». Un monde amputé de sa dimension culturelle, symbolique, voire spirituelle. Le monde est réduit à de la matière. Le monde est réduit à une machine.

 

 

Pour Mohammed Taleb, écopsyhologue, Lorsqu’on essaie de visualiser les intentions et les intuitions les plus profondes de l’écopsychologie, on s’aperçoit que ce nouveau paradigme est, en même temps, très ancien : il a des racines qui plongent dans l’histoire culturelle et philosophique de l’humanité. Parmi les intuitions très anciennes de l’écopsychologie, l’une d’elles renvoie directement à la philosophie grecque avec l’idée qu’il y a une unité du monde, que le monde est kòsmos et non pas chaos. Cette unité du monde, son ordonnancement reposent sur la perception de sympathies entre les choses, des correspondances, des relations qui sont symboliques et physiques. Comme le souligne M. Taleb, il existe deux formes langagières pour se dire, dire le monde, dire ses aspirations, ses révoltes : le logos et le mythos. L’écopsychologie fait dialoguer ces deux formes, qui sont complémentaires et qui disent toutes les deux la vérité, selon leurs modes propres. La première forme langagière est bien évidemment le logos, c’est-à-dire la compréhension rationnelle du monde. Il n’y a pas de connaissance sans rationalité. Il n’y a pas d’aventure humaine sans rationalité, sans esprit critique, sans le feu du doute. Le logos utilise comme matière première le concept, avec une validation par la preuve. Le mythos, lui, permet la créativité de l’imaginaire. Sans imaginaire, sans vision, il n’y a pas d’aventure humaine. Le mythos mobilise l’image et le symbole, avec comme validation l’épreuve.

Les écopsychologues pensent que, d’une certaine manière, une pensée, une culture, un individu, une société sont en état de « bonne santé », s’il y a une harmonie entre logos et mythos, entre raison et imaginaire. Nous avons absolument besoin d’une ouverture de la raison, de la rationalité, notamment scientifique, vers l’espace de l’imaginaire. C’est dans le dialogue avec l’imaginaire que la science devient une authentique quête de connaissance.

 

 

Pour reprendre l’analyse que fait Edgar Morin : le vrai clivage n’est pas entre la raison et l’irrationnel − car il s’agit là d’un bon moyen pour discréditer tout ce qui relève de l’imaginaire : c’est irrationnel, donc « ça n’existe pas » en fin de compte. Le vrai clivage se situe à l’intérieur de la raison, entre ce qu’il appelle la « raison close » et la « raison ouverte ».

  • La « raison close » est, dans mon esprit, la raison triomphante à l’époque du capitalisme, raison utilitaire, économique, mécaniste, etc. et en même temps prétentieuse. Au XIXème siècle, avec le scientisme et le positivisme, on a eu non seulement la prétention, mais aussi la croyance, que la science était capable de dire, de révéler la totalité des significations du monde. Si bien qu’on a exclu les paroles non-scientifiques et non-rationnelles. C’était le temps colonial où les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud et du Centre avaient une pensée « pré-logique » !
  • Ce qu’Edgar Morin appelle la « raison ouverte » est, au contraire, une raison qui affirme sa propre nécessité, et en même temps l’ouverture, tout aussi nécessaire, à la vérité des poètes, des artistes, des visionnaires, etc. et des savoirs non formalisés, ce qu’on appelle les « savoir-faire ».

 

Quel rôle joue la composante émotionnelle ?

L’écospiritualité ne se limite pas au registre de la rationalité, mais concerne plutôt le récit de soi, la métaphore, le ressenti et l’émotionnel. Suivant le type de contact qu’elles proposent avec la nature, les pratiques d’écospiritualité peuvent d’ailleurs susciter des expériences surprenantes ou inattendues. La tendance à idéaliser la nature peut avoir des conséquences paradoxales. En effet, la nature n’est pas toujours rassurante. Elle peut aussi être violente et nous confronter aux limites de notre corps. Aux côtés de ces dimensions émotionnelles, l’écospiritualité s’appuie aussi sur des données de type scientifique, comme le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. 

   L’homme, dit Egger dans « La terre comme soi-même », n’est pas seulement une entité morale, il est aussi un être spirituel; la crise écologique ne questionne pas seulement ce que nous faisons, elle interroge aussi ce que nous sommes : « L’enjeu n’est pas uniquement la survie de la planète et de l’espèce humaine, mais le sens même de la vie ». Egger vise une « nouvelle alliance entre l’être humain et la nature ». Au lieu du « penser globalement, agir localement », il propose d’« agir personnellement, c’est-à-dire comme une ‘personne’, un être en quête d’unité intérieure et de communion avec autrui et toute la création ».

 

 

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