Gas lighting : une violence psychologique des plus destructrice.

Gas lighting : une violence psychologique des plus destructrice.

La violence mentale n’est pas perceptible, mais elle laisse une marque émotionnelle extrêmement profonde. Il est possible que sa dynamique soit si intense qu’elle altère la psychologie de la victime, la faisant croire aux commentaires blessants qui leur sont adressés, tels que qu’il ne vaut rien ou qu’il s’agit d’un exagéré. « Vous êtes complètement fous », « Vous êtes excessivement sensibles », « Ce sont vos fantasmes »… Ces phrases s’inscrivent dans un ensemble de violences psychologiques appelées gaslighting. La manipulation d’une personne dans ce genre d’abus est telle que la victime remet en question son propre jugement et craint de perdre sa santé mentale.

Gas lighting fait référence à une pièce de Patrick Hamilton, Gaslight, qui fut jouée à Londres à la fin des années 1930 et adaptée quelques années plus tard au cinéma. Le film sorti en 1940 s’inspire de l’histoire d’un homme (Gregory) qui cherche, de manière subtile mais intentionnelle, à faire perdre la tête à sa femme, Paula, et à la conduire dans un hôpital psychiatrique afin de voler ses bijoux.

L’histoire met en œuvre différentes stratégies pour que sa femme remette en question son propre jugement : il déplace des objets de lieu et accuse Paula de les perdre, il remet en question tout ce qu’il dit et lui dit qu’il est « fou » et que « tout est son imagination ». De plus, le conjoint pratique également ces actes de cruauté devant ses amis, ce qui contribue à l’idée qu’ils croient aussi que Paula est folle. Paula commence à penser qu’elle a réellement des problèmes et que son jugement est influencé par son instabilité mentale en raison de l’abus.

 

40 ans plus tard, en 1980, le terme éclairage au gaz a été inventé pour désigner deux phénomènes au sein de la violence psychologique dans le couple:

  • Les personnes qui confondent inconsciemment leur partenaire et nourrissent leurs pensées les plus instables
  • Les personnes qui manipulent consciemment leur partenaire afin d’obtenir quelque chose de cette personne.

 

Le mot gaslighting en anglais fait référence à ce que l’on appelle en français le « détournement cognitif ». Il s’agit d’un des nombreux dispositifs instaurés dans une relation abusive, et plus spécifiquement dans celles l’un des deux partenaires est sous l’influence psychologique de l’autre. Le gas lighting est une méthode de manipulation qui ressemble à un lavage de cerveau subtil mais dangereux.

L’objectif du gaslighting reste le même : créer de la confusion et du doute dans l’esprit de la victime afin de la pousser à se remettre en question, à douter de ce qu’elle pensait sûr jusqu’à présent, et même à croire qu’elle souffre d’un trouble mental, qu’elle n’arrive pas à se gérer seule, qu’elle n’est « pas normale ». C’est fréquemment que s’établit et se consolide la conviction « sans l’autre je ne m’en sors pas », et c’est justement ce que le gaslighter souhaite que l’on croie. La victime de gaslighting remet en question sa propre vision de la réalité, allant jusqu’à s’interroger sur son identité. Effectivement, une personne qui a peu confiance en elle est moins encline à résister à toute forme de violence (psychologique, physique, sexuelle, émotionnelle, financière, etc.).

 

Les mécanismes du gas lighting

1- La mise en confiance :
Le gas lighteur parvient toujours à créer un lien de confiance dans lequel la victime n’a, à première vue, aucune raison de s’inquiéter. Celle-ci a d’ailleurs une confiance d’autant plus renforcée que le manipulateur fait des efforts pour la séduire.

2- L’isolement

Après avoir établi la relation, le gas lighteur détourne peu à peu sa victime de son entourage. Le but est de l’isoler pour éviter toute contradiction ou intervention extérieure dans leur relation. Le gas lighteur génère une certaine forme de doute quant à l’affection que nos proches nous portent, à leurs qualités, à leur honnêteté et à leurs intentions, afin que la personne qu’il manipule ne croit qu’à lui. La germe du doute commence alors à se développer.

3- L’instillation du doute

Lorsque la victime est isolée, le processus de manipulation se déploie de manière prolongée. Afin de la convaincre, le gas-lighteur prononce des propos totalement contradictoires sur tout, parfois d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre, puis les rejette en bloc, en mentant ouvertement. Il rejette également ses actes, même si les preuves sont présentes, en allant jusqu’à s’interroger sur l’honnêteté ou les intentions de sa victime.

Lorsque la personne victime tente de confronter le manipulateur à ses contradictions, elle reçoit toujours des phrases telles que ‘je n’ai jamais dit ça’ ou ‘tu as mal compris’. Il a également la possibilité de la dévaloriser comme d’habitude, tu ne saisis rien ») ou de la prendre en charge tu vis la situation ainsi, mais ce n’est pas de ma responsabilité »). Si la proie exprime son désarroi, sa frustration ou même sa colère, il va continuer à détériorer sa perception de la situation en lui attribuant un défaut mental, tel que ‘tu es totalement hystérique’ ou « tu es totalement folle ».

En même temps, le gas lighteur a la possibilité de modifier l’environnement de sa victime afin de créer une nouvelle confusion. Le gas lighting consiste également à déplacer des affaires pour qu’elle ne les retrouve pas, à débrancher des appareils électriques pour qu’ils ne fonctionnent pas… et à maintenir toujours un discours logique qui ne laisse pas de doute sur la responsabilité de la victime. Il suffit de dissimuler ses lunettes dès que possible, voire tous les jours, et de simplement ajouter « Tes lunettes? ». Si elles sont absentes, cela signifie que tu as les déplacer ailleurs! »

 

4- La perte d’autonomie

Ces mensonges et insinuations sont systématiquement déployés, ce qui entraîne chez la personne victime de gas lighting à la fois une diminution de la clarté, de la confiance et de l’estime de soi, voire une incapacité à prendre des décisions par elle-même.

 

Mais pourquoi faire subir du gas lighting ?

En fin de compte, la personne qui est victime de gas lighting perd ainsi toute rationalité et toute capacité à prendre du recul. Elle est tellement incertaine de tout qu’elle finit par ne pouvoir plus se fier qu’à la parole de celui qui la fait manipuler… C’est ainsi que le gas lighteur tire sa satisfaction de cette situation. Il est animé par cette volonté de maîtriser totalement l’espace mental et physique de l’autre. C’est ce contrôle qui lui confère une impression de supériorité. On accentue cette sensation de supériorité d’autant plus que la victime a tendance, à terme, à se fasciner pour celle ou celui qui la manipule : elle se sent bête, voire folle, face à celui qui l’admire, qui, à l’opposé d’elle, est la vérité, la raison.

 

 

Comment sortir du gas lighting ?

Comme c’est le cas dans les situations d’emprise, la victime n’est pas consciente de l’être, ce qui rend le retour à la normale d’autant plus nécessaire.Le syndrome de Stockholm est souvent présent chez la proie. En cas de critique de la part de son entourage envers le manipulateur, la victime se défendra.

Cependant, afin de mettre fin au gas lighting, les proches ont un rôle essentiel. En effet, face à la manipulation psychologique que les victimes elles-mêmes décrivent une fois libérées de l’emprise, seule une stimulation externe au couple peut provoquer le déclenchement. Si vous utilisez du gas lighting, cette main tendue sans jugement peut avoir un impact considérable. Ensuite, une fois que le contact est pris et que l’inquiétude est partagée, il est essentiel de fournir à la victime les moyens dont elle a besoin pour qu’elle prenne conscience de sa situation elle-même.

 

Voici des signes qui peuvent vous alerter sur la possibilité que vous viviez peut-être du gaslighting dans une relation quelconque (amicale, familiale, amoureuse…) :

  • Vous avez moins d’estime de vous-mêmedepuis que vous fréquentez cette personne.
    • Iel agit et parle comme s’iel vous connaissait mieux que vous-même.
    • Iel utilise vos peurset ce que vous lui avez confié contre vous.
    • Vous vous sentez souvent voir constamment en faute vis-à-vis de cette personne, comme si vous étiez coupable de tout ce qui cloche dans votre relation.
    • Depuis que vous êtes proche de cette personne, vous doutez bien plus de vous-même.
    • Vous êtes certain.e de l’avoir vu dire ou faire une chose, ce qu’iel dément régulièrement lorsque vous lui en faites part, comme si vous aviez halluciné ou imaginé cela.
    • Vous avez fréquemment ou constamment l’impression de ne pas être/faire ce qu’il faut.
    • Iel questionne votre santé mentale et votre capacité à vous gérer, vous assumer.
    • Lorsque vous constatez des abus, iel vous convainc qu’il s’agit de comportements normaux. Vous commencez à trouver ok ce qui ne l’était pas pour vous à la base.
    • Plus le temps passe, plus vous avez l’impression que vous avez besoin de cette personne, que vous dépendez d’elle et qu’elle vous est indispensable.
    • Vos limites sont plus floues, vous ne savez plus bien ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas et à quel point vous êtes responsable des situations problématiques.
    • Les actions de cette personne ne correspondent pas ou peu à ses paroles, elle tient rarement ses promesses, elle est incohérente.
    • Vous vous sentez petit à petit de plus en plus triste, abattu.e voir déprimé.e.
    • Vous questionnez de plus en plus votre perception de la réalité et votre santé mentale…

Ces signes peuvent vous alerter, bien qu’évidemment il ne suffise pas de cocher 2-3 de ces cases pour affirmer que vous êtes face à un gaslighter. En revanche, cela peut vous donner quelques pistes de réflexion et vous permettre, a minima, d’être un peu plus attentif à la relation et à ce que vous ressentez vraiment si vous vivez plusieurs de ces situations fréquemment… Se libérer d’une emprise psychologique n’est pas chose simple.

Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez également consulter un thérapeute spécialisé dans les abus psychologiques et la violence psychologique pour vous aider à sortir d’une relation toxique.

 

Remarque :
L’autogaslighting se produit lorsque cette voix malveillante devient la vôtre. Votre voix intérieure vous dévalorise, réduisant à néant la douleur que vous avez vécue. Ceux qui ont exercé un abus psychologique sur vous l’ont placé là, vous incitant à remettre en question votre propre réalité. Comme on les a entendus si souvent, on finit par les croire et à les placer dans sa propre réflexion. La position préjudiciable et critique de notre agresseur psychologique et de notre lampe de poche est assumée par nous-mêmes.

Dans ces cas, les personnes se disent souvent des affirmations telles que les suivantes :

  • « Peut-être que ce n’était pas si mal »
  • « Ils ne m’ont pas cru parce que je ne mérite pas d’être cru »
  • « Ce que j’ai vécu n’était pas un vrai traumatisme »
  • « Je ne devrais pas me sentir comme ça, je suis une exagération »
  • « Je fais une montagne d’une taupinière »
  • « J’aurais dû en avoir fini avec ça maintenant… »
  • « Si j’étais plus fort, je ne ressentirais pas ça »

Comme on peut le constater, il s’agit d’accepter le récit de l’agresseur et de l’appliquer à votre propre situation. Cela entraîne une réduction de nos émotions et de notre perception de nous-mêmes face aux situations personnelles, dans le but de nous persuader qu’une expérience passée n’a peut-être pas été aussi traumatisante ou grave que nous nous en souvenons. Cette dynamique d’auto-éclairage, si elle devient une habitude, conduira la personne à se méfier totalement de ses propres pensées. Et le plus grave, c’est que l’on ne réalise pas qu’on le fait.

C’est un phénomène couramment observé chez les individus qui ont grandi dans une famille ou un environnement abusif ou hostile. En l’absence d’un parent ou d’un adulte qui reconnaît et valide les pensées et les états émotionnels de l’enfant jeune, celui-ci a déjà, dès son plus jeune âge, la conviction que le problème n’est pas extérieur, mais qu’il est lui-même.

Quand la victime s’intègre dans la position du manipulateur, elle commence à remettre en question tout ce qui lui arrive de mal et aboutit à s’interroger sur elle-même. Même chose. Il est possible de se demander si vous êtes réellement digne de soins et de bienfaits. Il pense que les mauvaises choses qui lui arrivent peuvent en être compensées ou qu’il exagère simplement les choses. Selon elle, le problème provient d’elle-même, c’est sa responsabilité.

Souvent, il est essentiel de suivre une thérapie pour surmonter la violence psychologique, en particulier si l’on a déjà assimilé les commentaires de leurs agresseurs, comme c’est le cas avec l’autosuggestion. Il est nécessaire de déployer un immense effort et de consacrer du temps afin que la victime cesse d’être son propre responsable, qu’elle modifie sa mentalité et qu’elle cesse de questionner la gravité du préjudice subi. La responsabilité des dégâts que nous avons subis était de leur côté, pas de la nôtre. La victime n’est jamais le coupable.

 

Nota bene : Il est essentiel de faire la distinction entre la contrainte vécue et la contrainte ressentie. Par exemple, si je dépasse une limitation de vitesse afin de ne pas décevoir un ami en arrivant en retard, cela ne sera pas une contrainte, mais plutôt une question d’estime de soi. Je serais responsable de mon excès de vitesse. En revanche, la notion de devoir conjugal est une réelle contrainte qui a longtemps été justifiée culturellement. Le manipulation transforme une contrainte imposé, en une contrainte ressentie, ce qui augmente de fait la destruction de l’estime de soi. D’où l’importance d’analyser cette différence. 
Voici un témoignage qui parle de cela de manière intéressante. 

 

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