L’abandon des questions lié au sens, à la métaphysique, a des impacts sociaux important

L’abandon des questions lié au sens, à la métaphysique, a des impacts sociaux important

 

La question spirituelle 

 

« Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui, n’ayant connu que le bar, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur. […] Tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Aujourd’hui que nous sommes plus desséchés que des briquent, nous sourions de ces niaiseries. […] Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses économiques du XIXe siècle, le désespoir spirituel. » de Saint-Exupéry.

(à lire ici un article sur le sentiment interne que créé ce vide de sens dans chaque individu) 

 

Se détournant de la dimension spirituelle (métaphysique), et avec elle de l’idéologie, voir l’utopie qui porte une direction collective, notre société, enviable à bien des égards, est prise en flagrant délit de péché de vide de sens. C’est comme si, notre société vivait une crise de milieu de vie, celle du sens et de l’engament. Civilisation dont la jeunesse s’éloigne, ne trouvant plus sa place, et qui peine à se renouveler. À la fois nostalgique de son passé et déçue des promesses non tenues, honteuse de ses imperfections et frustrée de ses impuissances, ne sachant plus ni d’où elle vient – ses racines-, ni qui elle est – son identité-, ni où aller – ses finalités-, notre société a perdu de vue sa vocation, ce qu’elle désire et ce en quoi elle croit, ce qu’elle doit servir. Elle est, pour un temps qui semble s’éterniser, une société sans guide, dans un désert de sens.

De nombreux philosophes ont dénoncé cette crise profonde, ce désenchantement du monde, une expression empruntés au sociologue Max Weber à la suite de l’échec des différentes utopies et idéologies politiques qui ont marqué le siècle dernier. Désenchantement dû aussi aux crises économiques, écologiques et sociales que nous avons connues. « L’avenir n’est pas ce qu’il était » souligne Edgar Morin.

Cette société est donc tombée dans une forme d’hypermordernité aux alentours de 1990. La société ne revendique pas de rupture avec la modernité mais, au contraire, elle met le doigt sur le caractère amplifié à l’extrême de la logique de la modernité dans la société d’aujourd’hui. Tout devient hyper. Hypermarché, hyperconsommation, hyperactif, hyperconnecté… Notre monde se présente à nous sous le signe de l’hyper-accélération et de l’excès. Le politique recule là où le marché hypermondialisé s’impose. Les activités économiques, financières ou boursières explosent et le développement des nouvelles hyperconenctées dans tous les domaines de notre vie. C’est dans ce contexte de société hypermoderne, que le vide de sens, aujourd’hui, se manifeste. La dimension excessive de notre modèle, « hyper », fait écho à ce sentiment de vide.

 

Un présent à investir :

Vivre « l’instant présent », le surinvestir et en « profiter au maximum » sont la promesse du bonheur, voire une injonction qui nous est faite aujourd’hui. Celle-ci traduit notre incapacité ou notre peur à nous projeter au-delà de l’instant et à nous inscrire dans un temps long porteur d’espérance. 

Être exclusivement et absolument dans l’instant présent dans l’instant présent abolirait le temps et nous ferait vivre dans une forme d’éternité, où tout passé nostalgique et décevant et où tout futur imprévisible et angoissant seraient anéantis. Le passé porte ses blessures et le futur se serait imprévisible, non linéaire et plus naturellement porté vers « un progrès ». L’oubli du passé, la peur du futur et la perte de l’espérance nous enferment dans un « ici et maintenant » aveugle propice à l’errance. Le temps comme l’humain, a perdu la transcendance. Notre époque vit au temps de l’immanence et de l’instant, temps propre à ce vide de sens.

Notre esprit, par cet instant présent, devient instable et impatient, il papillonne. Il veut tout savoir et être au courant de tout ; rien ne doit lui échapper. Il est atteint d’une curiosité excessive qui est l’expression d’un besoin de contrôle sur son environnement, mais aussi la manifestation d’un manque de vie intérieure que nous cherchons à combler en captant fébrilement des choses à l’extérieur de nous-mêmes.

 

Dans cette agitation, après quoi courrons-nous ou que fuyons-nous ?

Est-ce la peur d’être dépassés ou de ne pas être conformes et dans la norme ? Est-ce pour nous synchroniser sur nos outils technologiques ? Ou est-ce pour éviter le moment de l’immobilité, quand il ne se passe rien, lorsque l’on est face à soi-même et que se pose la question du sens de nos actions et de notre vie ? Être en hyperactivité nous évite de penser, de nous poser des questions, cela aussi est valorisé aujourd’hui. Le maître mot est « avancer ».

Pour nous « vider la tête » du trop-plein de nos vies hyperactives, pour fuir l’ennui ou s’extraire radicalement de la routine du quotidien et de ses contraintes, nous recherchons des « expériences » insolites, inattendues, exaltantes. Nous voulons ressentir des émotions fortes et l’adrénaline qui les accompagnent. En quête de sensations, nous nous dépassons, nous nous transcendons et repoussons nos limites (le fameux sortir de sa zone de confort). Que ce soit dans la vie professionnelle ou dans les loisirs, nous vivons l’expérience de faire exister en nous un « moi plus puissant et plus vivant que soi ». Nous marchons à l’adrénaline. Véritable drogue qui se rappelle à nous au quotidien. Une fois sous emprise, elle nous rend dépendants, accros au boulot, accros au sport…

Cette adrénaline et ce désir de vivre autre chose et de manière plus intense, se retrouvent également dans l’univers virtuel. Internet et la télévision utilisent principalement l’émotionnel, comme mode de communication. L’information, avant d’être factuelle et de parler à notre esprit, s’adresse à nos émotions, par le biais de l’image qui amplifie le phénomène.

Ainsi nous aimons être « touchés », « indignés », vivre des moments de compassion, de commémorations festives et collectives. Puis, très vite, nous oublions et passons à de nouvelles indignations, commémorations et à de nouvelles émotions, vivant sous la dictature de l’émotion collective, de l’urgent, de l’immédiat et du présent perpétuel. A l’affût d’une actualité sans cesse renouvelée, nous sommes pris dans un tourbillon d’informations, dans un « yoyo » de sensations et d’émotions. Abreuvés sans cesse de nouvelles angoissantes, nous sommes traversés par deux mouvements : de la compassion devant tout le malheur du monde et notre impuissance à y répondre. Cette dualité nourrit en nous de l’anxiété. Notre société hypermoderne et avant tout hyper-émotionnelle.

Notre trop-plein d’émotions nous encombre parfois et nous submerge. Il nous faut les « gérer » comme nous gérons nos affaires et développer une intelligence émotionnelle. Si nos émotions sont des messagers, alors elles ont beaucoup de choses à nous dire, non seulement sur nous-mêmes, mais aussi sur notre société. Ces émotions débordantes sont souvent les fruits d’un corps en hyperactivité, d’un esprit agité et d’une âme en errance spirituelle et existentielle. L’émotionnel, dans ce contexte, peine à se stabiliser. Le succès grandissant des retraites spirituelles, des stages de yoga ou de méditation, témoigne du besoin de s’extraire un temps de l’agitation du quotidien, d’apaiser le « mental » ou de prendre soin de l’âme.  

 

Outre cette excitation, cette crise de sens connait aussi la rancœur.

Elle est l’amertume et le mépris que nous portons aux autres. La rancœur nous fait voir l’ombre plutôt que la lumière en chacun d’entre nous, elle est dépourvue de bonté pour son prochain. La rancœur nous fait détester les autres pour ne pas nous détester nous-mêmes. Parfois même, sans se l’avouer, cette crise envahie d’aigreur, envie et déteste à la fois ceux qui possèdent la joie.

Rongé par un ressentiment sans véritable objet, il devient colérique et agressif contre tout et tous ; il fait payer aux autres ses insatisfactions personnelles et voit en l’autre le responsable de son sentiment de frustration face à la vie dépourvue de sens. Ne sachant plus quelle finalité est la sienne, et doutant de tout, il est à la fois indécis et impatient. Incapable de trouver sa propre sécurité en lui-même, il l’attend « tyranniquement » des autres. L’autre devient ce qui doit le rassurer et le guider. Même très entouré, il se sent seul. Il est comme dépossédé de lui-même, dépendant des autres et les rejetant à la fois.

 

Où est passé la question du sens ?

La question du sens est omniprésente aujourd’hui. Le discours ambiant porte à dire que nous souffrons d’une perte de sens dans nos vies. Lorsque le sens fait défaut, le monde nous apparaît comme incohérent voir violent.

Si le sens est non seulement ce qui attribue une signification aux choses, aux actions et aux événements mais aussi donne une direction et une orientation, alors perdre le sens signifie ne plus connaître ou reconnaître les choses pour ce qu’elles sont et ignorer ce vers quoi l’on tend.

Lorsqu’une chose ou une situation a du sens pour nous, c’est qu’elle est en cohérence avec nos attentes, nos besoins et nos représentations, c’est-à-dire nos pensées, nos expériences, nos références et nos valeurs. Perdre le sens nous prive de cette cohérence, de cet alignement entre ce que nous sommes et la situation.

Ce vide de sens nous murmure à l’oreille des pensées nihilistes : que la vie est absurde et qu’elle n’a ni sens, ni utilité ni fécondité. Il remet en question toutes vérités et nous condamne au relativisme. Il nous fait perdre de vue qui nous sommes et ce à quoi nous sommes rattachés, nous rend amnésique quant à notre appartenance à une famille, à une civilisation et une tradition porteuse de valeurs et de spiritualité. Déracinés, nous ressentons un mal-être et une souffrance morale que nous peinons à identifier. Un climat ambiant pessimiste pesant, aspirant et contagieux. Cela génère, au sein de la société, le désenchantement, le manque d’espérance, le désespoir et un sentiment flou d’insécurité constante.

 

 

source : 

basé entre autre sur l’ouvrage « le mal à l’âme : l’acédie de la mélancolie à la joie »

 

En complément : 

 

Une société sans intériorité : une souffrance psychique profonde.

 

Un monde disponible : notre rapport au monde le rend inquiétant et agressif

 

À lire aussi, un article philosophique sur l’importance de l’enracinement dans la question existentielle. 

 

 

 

 

 

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