Apprendre à poser son attention sur la relation : une forme de résistance écospirituelle

Apprendre à poser son attention sur la relation : une forme de résistance écospirituelle

Apprendre à être en relation tient à ce risque vital : oser se laisser affecter par des évènements du monde, aux bordures de soi, se dé-couvrir et s’ouvrir à un inattendu qui pourra augmenter, transformer son rapport à soi-même, aux autres et à la nature. Une posture qui nous apprend à ouvrir son regard non avec un regard de flèche qui vise, mais un regard disponible qui accueille ce qui s’offre à lui, à être dans l’attention et non dans la vigilance. 

Ce genre de posture, d’exercice d’attention valorisent la portée éthique et critique de l’écospiritualité. Elles sont d’autant plus nécessaires et urgentes que nous sommes aussi les contemporains d’une vision rivale. Celle de l’économie de l’attention, qui opère un rapt de notre disponibilité. Cette dernière a bien compris que le « temps de cerveau disponible », définition bien peu conceptuelle et rigoureuse, n’en est pas moins une ressource et un capital à exploiter. Insister sur l’importance de l’attention s’impose, car elle est délicate et fragile. 

La force du nouvel esprit du capitalisme est de venir transformer en marché ce qui vient s’opposer à la logique du marché. Le souci d’une vie bonne, et l’écospiritualité, dans leur dimension critique de l’économisme ambiant, peuvent, si l’on y prend garde, devenir les objets d’une extension du règne du marché dans le cadre d’une marchandisation de l’intime. L’attention n’a pas de prix, mais elle est tellement précieuse qu’on peut vouloir la transformer en marchandises, faire du bénéfice avec du bénéfique. 

En termes d’offre et de demande, l’écospiritualité, et avec elle le souci du bien-être, fait vendre : qu’il s’agisse de livres, de stages, de pratiques écotouristiques ici ou là-bas, etc. Le défi est donc de faire en sorte que les exercices écospirituels d’attentions puisse promouvoir une posture critique. Que leur force libératrice ne soit pas seulement une enclave intime pour se protéger de la brutalité de l’économisme, mais qu’elle prépare une véritable résistance à l’égard d’un nouveau type d’aliénation. Une aliénation qui repose sur la confusion entre notre désir et notre envie. 

Là où l’attention prend soin de notre présence sensible au monde, l’économie de l’attention vampirise notre disponibilité mentale (celle par exemple des dispositifs numériques, des réseaux sociaux), nous désincarne, médiatisant via le traitement des « données », les algorithmes et l’information, cette présence. Elle nous virtualise. Nous réagissons alors à un très grand nombre d’informations, mais très peu sont intériorisées et deviennent pour nous des évènements relationnels, profonds. 

Le terrain privilégié pour cette lutte est aujourd’hui celui de nos relations avec les services numériques. Ces derniers captent et captivent parce que leur ressort caché est notre attente pulsionnelle. Ils entremêlent, jusqu’à la confusion, notre désir d’être et l’envie de reconnaissance, c’est-à-dire d’un côté le « se reconnaître », et de l’autre le moi reconnu pas un « nous » imaginaire. Les services numériques suscitent nos envies immédiates sur le mode de la connexion instantanée. Ils entretiennent le trouble en me laissant croire que c’est « moi » que les notifications visent alors qu’elles ne s’adressent qu’à mes identifiants. Ils menacent également les temps interstitiels qui nous relient aux autres vivants (les relations profondes) : du simple regard jeté à la fenêtre à nos micro-temps de mobilités, des files d’attentes à nos balades, mais aussi les temps de recherche ou d’exploration de soi dans les propositions culturelles (du spectacle vivant au cinéma ou à la lecture). Tout cela nous anesthésie. 

Si, à force d’être connecté, on finit par être déconnecté, ne faut-il pas discuter ce vocabulaire de la connexion désincarnée prise pour une relation ? 

 

Source : 

Méditer comme une montagne de Jen Philippe Pierron

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